Le Catharisme


Introduction et définition

            Ce qu’il est convenu d’appeler Catharisme si on lui reconnait le statut de religion à part entière, hérésie albigeoise si l’on s’en tient à la position officielle de l’Eglise catholique romaine, adoptée par beaucoup d’historiens traditionnels, fait l’objet depuis quelques décennies d’un regain de curiosité. C’est peut-être parce que l’intolérance et la répression au nom d’un dogme religieux, mises au service d’intérêts politiques, sont restées d’actualité au fil des siècles, jusqu’à aujourd’hui.
            La littérature abonde sur le sujet, des ouvrages les plus sérieux à ceux mêlés de légende ou enjolivés de mauvais folklore. Les auteurs français d’ouvrages de référence sont pour la plupart originaires du Languedoc. Cette marque régionale n’est évidemment pas un hasard. Si le catharisme s’est manifesté dans toute l’Europe, c’est en effet en Languedoc que les tragédies dont il a été le prétexte ont atteint la plus grande violence. La nouvelle génération de chercheurs en matière de catharisme est davantage illustrée par des Allemands et des Britanniques que par des Français.
            Le catharisme peut se définir comme une forme de christianisme sur laquelle se greffe le dualisme.
            Etendant son emprise du 10ème au 14ème siècle de l’Asie Mineure à l’Atlantique et jusqu’à l’Europe du nord, régnant sur les âmes de centaines de milliers d’hommes au point de supplanter parfois la religion officielle sur des terres parmi les plus anciennement christianisées, insufflant à ses adeptes une foi assez forte pour les conduire au martyre à l’image des premiers Chrétiens, le Catharisme a bien atteint l’ampleur d’une des grandes religions de l’humanité. Il a déclenché dans la Chrétienté un séisme comparable à celui du Grand Schisme de l’Eglise d’Orient un peu avant lui, et à celui de la Réforme après lui. Lui contester la qualité de religion revient à faire de même pour la Religion Orthodoxe ou pour les Religions Réformées. La seule différence avec ces dernières est qu’il s’est finalement éteint, et que l’histoire a voulu étouffer son souvenir.
            L’étymologie du mot Catharisme est simple : elle vient du grec « catharos » qui signifie « pur ». Si ce mot parait prétentieux, c’est qu’il a été proposé non pas par les Cathares eux-mêmes mais, par dérision, par le moine allemand Eckbert de Schonau. Il en est de même du terme de « parfait », désignant les membres de l’élite spirituelle du Catharisme, inventé aussi par des ecclésiastiques mal intentionnés. Ces personnages se disaient seulement « Bons Chrétiens », « Vrais Chrétiens », ou même Chrétiens tout court.
            Nous rencontrerons beaucoup d’autres appellations désignant les Cathares. Parmi elles, celle de « Cati » ou « Catti », utilisée en Rhénanie, dérive du latin « catus » ou « cattus », c’est-à-dire chat, animal jugé diabolique au Moyen-Age, et qu’on a accusé les Cathares d’adorer. Catus aurait donné en allemand « Ketter » ou « Ketzer », signifiant hérétique, et de là « Cathare ». Cette étymologie parait fantaisiste.
 La doctrine et ses fondements
            Le catharisme étant défini comme la somme christianisme + dualisme, il convient d’envisager successivement ces deux versants.
La base chrétienne
            Bien chrétienne est la double référence :
--- à la révélation des voies du salut par un envoyé : le Christ
--- et à un livre : le Nouveau Testament, et lui seul.
            Plus précisément les Cathares n’acceptent comme règle de foi et de conduite que les Evangiles, surtout celui de Jean, les Epitres, de Jean et de Paul, et divers apocryphes ( c’est-à-dire écrits non reconnus officiellement par l’Eglise ), comme la Vision d’Isaïe, la « Cène secrète » ou « Interrogation de Jean », l’Evangile des Nazaréens, dans des versions qui ne diffèrent pas des versions catholiques mais qu’ils lisent dans leur traduction romane, et auxquelles ils ajoutent des mythes de tradition orale.
            Ils rejettent l’Ancien Testament dont ils considèrent le Dieu, la Loi et les Prophètes, radicalement mauvais.
            Ils ne prennent pas à la lettre les textes qu’ils acceptent, interprétant selon un sens mystique ce qui est démenti par les évidences de la nature, allant jusqu’à dire à propos de tel ou tel évènement biblique échappant à la réalité terrestre : « Nous n’y étions pas et nous ne pouvons croire que c’est vrai ».
            Dans leur pratique de vie, les Cathares entendent observer à la lettre les préceptes du Christ et singulièrement l’évangélisme répandu par des prédicateurs itinérants et pauvres individuellement.
            On peut noter que le Catharisme s’inscrit ainsi dans le mouvement multiforme de retour aux sources du Christianisme médiéval qui a aussi concerné l’Eglise officielle, depuis la réforme grégorienne ( du pape        Grégoire VII ) jusqu’aux Cisterciens et aux Ordres mendiants, mouvement dont on a dit qu’il avait suscité « des saints comme des hérétiques ».
Les sources de la connaissance du catharisme
            La référence biblique amène à envisager les sources de la connaissance du Catharisme. Les sources originales et objectives sont rares.
            On connait un seul exemplaire de bible cathare parmi les nombreuses bibles médiévales rédigées en occitan : c’est le « Nouveau Testament de Lyon » ( manuscrit PA 36 de la Bibliothèque municipale de cette ville ), traduit d’un original latin ou grec antérieur à la mise en ordre de St Jérôme et à la Vulgate, peu différent des versions orthodoxes ; il comporte les quatre Evangiles, les Actes des Apôtres et les Epitres canoniques ; il est suivi d’un Rituel également en occitan, peu différent lui aussi des versions officielles, datant du début du 13ème siècle. La doctrine cathare est également connue par deux traités en latin : le « Livre des deux principes » conservé à Florence, suivi d’un Rituel, et un ouvrage provenant de la région de Carcassonne dont deux manuscrits sont conservés, l’un à Prague, l’autre à Paris à la Bibliothèque Nationale. Enfin un troisième Rituel, provenant du Languedoc, rédigé en occitan, est conservé à Dublin.
            A part ces seules sources originales, le catharisme n’est connu que par les procès-verbaux de l’Inquisition, aussi nombreux que suspects d’interprétation tendancieuse.
            Le dualisme
Comme dit une maxime de Catherin Bugnard, secrétaire perpétuel de la fantaisiste Académie lyonnaise des Pierres Plantées : « S’il y a un Bon Dieu, d’où vient le mal ? Oui, mais si y en a pas, d’où vient le bien ? ». A cette question que l’homme s’est toujours posée, les Cathares répondent qu’il y a un Dieu pour le bien, un autre pour le mal.
Ce dualisme est en effet le second volet du catharisme.
Il a des racines anciennes, au point d’avoir servi d’unique base à des religions dont la plus connue est le Manichéïsme, auquel le Catharisme a été très abusivement assimilé. Racines philosophiques : selon Aristote « les principes des contraires sont des contraires » ( ! ) et aussi ( accrochons-nous) : « tous les contraires sont semblables par nature » ; et racines bibliques, tant dans l’Ancien Testament :  « tout va par deux, l’un contre l’un »  selon l’Ecclésiaste,  que dans le Nouveau :  « le bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni le mauvais arbre de bons ».
 Tout ce qu’on peut tirer des contradictions de la Bible est illustré par les deux traductions  possibles d’une phrase du Prologue de l’Evangile de Jean :    «  … et sine ipso factum est nihil quod factum est » ; la traduction officielle de nihil est « rien », d’où : « rien de ce qui est fait n’est fait sans lui », la traduction cathare de nihil est « le néant », d’où : « ce qui est fait sans lui est le néant ».
Il y a donc deux principes opposés : celui du bien, le Dieu bon ; et celui du mal, le Dieu mauvais. 
            Le Dieu bon, principe du bien, c’est le Dieu « vivant et vrai », le Dieu de lumière, le Dieu de gloire céleste, le Dieu de vérité et de justice, le père des justes, le Dieu sauveur, et pour tout dire « Dieu le Père », et c’est celui du Nouveau Testament. C’est celui qui voit tout mais que nul parmi les hommes n’a vu ni ne peut voir, qui ordonne d’aimer son frère mais aussi ses ennemis, de tendre l’autre joue, qui promet le ciel surtout à ceux qui sont persécutés, mais qui dit aussi qu’ « il n’y a ni mâle ni femelle » et que sont « heureuses les femmes stériles, heureux les ventres qui n’ont pas enfanté » ( ! ). Aussi bien son œuvre est-elle de nature purement spirituelle ; il n’a créé que des esprits, par essence éternels comme lui, vraie création d’amour ; son monde est invisible ; pas question de lui attribuer la création du ciel et de la terre ( « Mon Royaume n’est pas de ce monde », « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » ) 
            Le Dieu mauvais, principe du mal, c’est le faux Dieu, le Dieu étranger, Dieu de malice, Prince des ténèbres, l’Ennemi perpétuel, inconstant, cruel et même furieux, menteur voire bouffon, c’est Jéhovah, Yaveh, le Dieu de l’Ancien Testament, le Diable majeur, pour tout dire Satan, à qui manque l’attribut principal de Dieu : l’existence absolue ; un dieu sans commencement, un dieu incréé. Son œuvre est purement matérielle ; c’est lui qui a créé le monde visible, la terre et le ciel, « mais la terre était vaine et vide, et les ténèbres étaient sur la surface de l’abîme ». C’est là le fameux néant, tout ce qui a été fait sans le Dieu bon. Il a fait les êtres vivants et l’homme, mais on puise dans la Genèse les preuves de sa duplicité ; « il se repend d’avoir créé l’homme » ( A-t-il vraiment tort ? ). « Il les créa mâle et femelle » mais il a dit à l’homme : « je mettrai de la haine entre toi et la femme » ; il a dit : « croissez et multipliez » mais aussi « j’enlèverai tes épouses sous tes yeux et je les donnerai à ton prochain », ce qui ne l’empêche pas de vouloir lapider l’adultère ; il « ouvre les vulves des femmes » ; il dit « aime ton prochain » mais « hais ton ennemi » et aussi « œil pour œil »  et encore « que chacun tue son frère, son ami et son proche » ( ! ). Il tue l’innocent avec le coupable ; ainsi à Sodome et Gomorrhe    ( et on le verra à Béziers ! ). Il a promis à Abraham la terre de Chanaan, dans laquelle pourtant il n’avait «  même pas un droit de passage ». Il conseille : « tu tromperas et tu parviendras à tes fins » ; il préconise le vol et le prêt à usure. A Moïse, qui lui demande de voir sa gloire, il répond : « je te montrerai tout ce qu’il y a de bien », mais un peu plus loin : « tu verras mon derrière ». Laissons là les citations choisies. En somme, c’est le Dieu de la création illusoire, d’une création de haine, le Dieu des catastrophes, des injustices et de la guerre, des maladies frappant les enfants, des étés pourris….. et surement l’inventeur du travail ! On peut tout lui mettre sur le dos !
            Tandis que le Dieu bon plane dans l’abstraction, très au-dessus de tout cela !
            A travers l’évolution du Catharisme s’est fait jour, à côté de ce dualisme absolu, un « dualisme mitigé » selon lequel le Diable a seulement « organisé »  ( ou « désorganisé » ) le monde à partir d’éléments créés par le Père céleste !
La condition humaine
            La condition humaine est un composé résultant de l’affrontement, de la réaction détonante en quelque sorte, entre ces deux principes opposés. Mais elle est faite de trois éléments : l’esprit, le corps et l’âme.
            L’esprit seul est l’œuvre du Dieu bon, porteur de l’incitation au bien. Etre céleste, éternel comme son créateur, il est promis au salut et au retour. Mais en attendant, dans la vie d’ici-bas, il est déchu.
            En effet le Dieu mauvais, Satan, le Grand Dragon, le Serpent, bien que créateur, avec l’aide de son fils Lucifer, de la terre et de sept cieux, contenus dans un firmament de verre, conscient de son infériorité, a cherché sinon à s’égaler au Dieu bon, au moins à lui nuire, et il a trouvé le moyen de faire tomber sur terre les esprits qui sont ceux de tous les humains.
Il a pu agir par la violence, affrontant dans le ciel, dans la grande bataille qu’évoque l’Apocalypse, St Michel et ses anges, aidé lui-même par ses anges dévoyés. Mais il n’a pas eu le dessus, il est tombé, brisant dans sa chute son firmament de verre, entraînant avec lui tous les esprits devenus ses complices. C’est ce qu’on appelle la « première perturbation » ( ou première hypothèse ). Il a pu aussi recourir à la ruse, pénétrant par surprise ou par fraude dans le royaume, offrant aux esprits célestes des biens jusque-là inconnus d’eux, pourquoi pas des femmes superbement parées, et précipitant dans la chute ceux qui se sont laissés séduire. C’est ce qu’on appelle la « seconde perturbation » ( ou  seconde hypothèse ), version plus subtile. Parmi les esprits ainsi tombés ou chassés est toutefois opérée une distinction entre ceux vraiment séduits et consentants, attirés par la perspective de la fornication, et ceux tombés en quelque sorte par mégarde, entraînés par le mouvement. Certains se sont peut-être même arrêtés en route ! Aux uns comme aux autres le Dieu bon aurait dit : « Allez maintenant et pour le moment ».
             Pour empêcher ces esprits de retourner au ciel, le Diable a emprisonné chacun d’eux dans un corps de chair, une « tunique de peau », qui est son œuvre exclusive. « Toute chair est l’œuvre du Diable », « Toute chair est née d’un coït », c’est pourquoi elle est impure. En se reproduisant par la fornication, poussé par la concupiscence vers la femme identifiée au fruit défendu, l’homme collabore à l’œuvre diabolique ; le fœtus est démon pur et simple, contaminant celle qui le porte et qui se trouve en état de péché irrémissible jusqu’à sa délivrance.
            Un troisième élément est l’âme. En référence au Lévitique où il est dit : « L’âme de la chair est dans le sang », elle est aussi considérée comme une dotation du Diable, porteuse de l’incitation au mal. Liée au corps, elle périt avec lui. Le dualisme se prolonge donc dans cette distinction entre l’esprit et l’âme.
La Révélation
Le salut et le retour exigent deux conditions : mettre fin à l’oubli, par une révélation à l’homme de sa condition réelle, et rompre le cycle de la génération par une purification au moment de la mort.
La révélation, c’est l’œuvre du Christ. Le « temps de grâce » étant arrivé, Dieu le Père a envoyé son fils sur terre, accompagné du Saint Esprit, pour enlever au Diable son pouvoir sur le monde et récupérer tous les esprits, pour les réunir à lui à la fin du monde, à partir de laquelle il n’y aura de nouveau qu’un seul Dieu.
Le Christ est venu sur terre non pour racheter la faute originelle par son sacrifice mais pour révéler aux hommes le geste purificateur et libérateur : le baptême d’esprit, qui n’a rien à voir avec celui de Jean-Baptiste, pour lequel les Cathares ne professent aucune sympathie.
La conception cathare de la Trinité est très unitaire, s’opposant au trithéïsme dont ils accusent la religion officielle ; elle se confond avec leur conception de la christologie, qu’on appelle le docétisme.
Investi de tout pouvoir dans le ciel et sur la terre, le Christ n’est qu’un avec son père. Il est resté un être céleste, un ange. Il n’a pas réellement la chair d’un homme ; il n’est pas né de la Vierge, même si elle a été grosse comme si elle était enceinte, et si sa grossesse a disparu lorsqu’est apparu à ses côtés l’enfant qu’elle n’avait ni porté ni mis au monde. 
Il n’a eu qu’une espèce de chair simulée, il s’est dessiné comme un fantôme, il s’est « adombré » en Sainte Marie ; en occitan : «  e adombrec se en Sancta Maria ». Sa vie terrestre ne fut qu’un leurre. Il n’a pu ni manger ni boire, ni avoir faim ou soif, ni souffrir, mais s’est nourri de sa propre grâce et de celle de son père. On a même pu dire que si jamais il a mangé et bu, il s’est bien gardé d’avaler.
Comment admettre alors que cet être essentiellement spirituel ait pu faire des miracles, se conduire en somme comme un prestidigitateur tirant un lapin d’un chapeau ? Il faut interpréter ces miracles spirituellement : comme dit le Cathare galicien Luc de Tuy « Ce qu’on dit du Christ qu’il donna la lumière aux aveugles doit s’entendre de ceux qui étaient dans le péché et affligés de cécité d’esprit, non de corps ». Tout cela fut « fantastique » au sens étymologique. A fortiori tout pouvoir miraculeux est-il dénié à la Vierge, aux Saints, à leurs images ou à leurs reliques. Car « la vérité des choses ne change pas », « on ne modifie pas les lois de la nature ». Spiritualiste, cette argumentation est donc aussi rationaliste.
La Passion n’échappe pas au docétisme : le Christ n’est qu’en apparence mort sur la croix ; les juifs ont cru le mettre à mort, mais ils n’avaient aucune prise sur lui ; sa résurrection s’inscrit évidemment très bien dans cette conception des choses.
La place des Saints est conçue dans la même ligne. Seul St Jean-Baptiste n’est pas en faveur ; c’est un démon ; « Le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui » selon St Matthieu ; « il a douté du Christ » selon St Jean l’Evangéliste qui dit aussi : « et moi je ne le reconnaissais pas ». Il a créé un baptême pour faire à l’avance obstacle à celui de Jésus.
Marie quant à elle se trouve sublimée par le docétisme ; peut-être même était-elle un ange, amené du ciel par le Christ, tout comme les Apôtres, et aussi 144.000 anges. Le Christ aurait donc débarqué avec toute une équipe, et même toute une armée, pour accomplir l’œuvre de salut, craignant peut-être de ne pas trouver à recruter sur place ! Marie est peut-être aussi une allégorie, qu’il faut identifier à l’Eglise.
Dans la conception dépouillée qui est la leur, les Cathares tournent en dérision les célébrations de l’Eglise officielle, à commencer par celle de la croix --  comment adorer un instrument de supplice ? – et celle de l’Eucharistie, l’idée d’absorber même symboliquement la chair et le sang du Christ étant pour eux une aberration ; sans parler de la vénération des reliques et des statues des Saints.
L’accès au salut
            Reste à savoir comment l’homme va accéder au salut. Bien des péripéties peuvent être nécessaires.
            La quantité des esprits créés par Dieu le Père, immortels, est depuis toujours constante; si elle ne s’éteint évidemment pas par la mort, elle ne s’accroît pas non plus par une création continue. Comme dit une Cathare toulousaine en 1273 : « Dieu ne crée pas de nouveaux esprits dans les petits enfants ; il aurait beaucoup à faire….. ».  Comment interpréter alors l’essor démographique ? Certainement par la chute sur terre d’un nombre d’esprits sans cesse grandissant, témoignant de l’influence croissante du Diable !                 Pour que chaque esprit échappe à sa « tunique de peau », soit sauvé, et retourne au ciel pour resplendir comme le soleil dans le Royaume du Père, y retrouver la jouissance originelle, une robe blanche, un trône, la couronne de justice et un corps glorieux, il faut que son porteur ait pu faire pénitence avant sa mort, c’est-à-dire recevoir le baptême d’esprit du « bon chrétien », le baptême cathare. Sinon elle devra passer dans d’autres corps, corps humains ou corps d’animaux à sang chaud, qui donc sont habités d’esprits comme les humains, exception faite toutefois des rats ( ! ), et ce jusqu’à ce que la condition précédente se réalise, à l’issue d’un dernier passage humain. C’est la métempsycose.
            Il n’y a pas d’enfer : l’enfer, c’est ce bas monde, royaume du Diable par définition ; pas non plus de purgatoire.
            Ose-t-on ajouter que lors de l’ascension de leur esprit au ciel, le sexe des femmes sera changé, leur esprit entrera dans un corps masculin, car « les âmes des hommes et des femmes ne diffèrent point entre elles ; c’est dans la chair des hommes et des femmes que Satan, seigneur de ce monde, a créé une différence ». Un transbordement supplémentaire donc pour nos compagnes. Mais, pour rassurer tout le monde, chacun prendra in extremis l’aspect d’un homme de trente ans, la force de l’âge du Christ.
Le nombre de passages d’un corps à un autre est-il limité ? Les idées semblent avoir varié avec le temps : à l’origine on a admis qu’un esprit était  perdu, damné, après neuf passages, et que tous les Catholiques étaient damnés ; mais par la suite le nombre des passages possibles a augmenté ;        St Paul lui-même n’aurait-il pas eu besoin de treize tuniques successives, voire de trente-deux, car « il avait été un très méchant homme dans quelques-unes ». Seuls seront damnés finalement ceux qui ont « péché contre l’esprit », c’est-à-dire les délateurs et les persécuteurs des Cathares. Et on va même admettre que « toute les créatures de Dieu seront sauvées » et « aucun croyant, aucun hérétique, et même aucun Catholique, ne sera damné, pourvu qu’il ait imploré la miséricorde de Dieu », ce qui est quand même bien accommodant.
Pas question en tous cas d’attendre un retour du Christ sur la terre. Sa première expérience a dû lui suffire, car il a dit « qu’il ne serait plus jamais entre les mains des pécheurs ». Il n’y aura pas davantage de Jugement Dernier, car « Dieu n’a pas créé des êtres pour les perdre ».
Mais comme il est bon, sur le plan religieux et pratique, de laisser une certaine incertitude aux hommes, il reste une certaine latitude de miséricorde divine, et tous n’auront pas la même place au ciel.
Lorsque toutes les brebis perdues auront ainsi été récupérées, la création mauvaise retournera au néant, « le ciel et la terre passeront » dans une conflagration générale dont la description est empruntée à l’Apocalypse : « Tout ce monde visible sera plein de feu, de soufre, de poix, et sera consumé ; la mer enflera, le ciel descendra, le feu brûlera la mer, la mer éteindra le feu ». Les cathares n’avaient évidemment pas prévu une catastrophe nucléaire, qui ne laisserait pas le temps d’évacuer toutes les âmes !
Après ce retour au chaos originel, les conditions seront à nouveau réunies comme avant l’origine des temps et, ma foi, il n’y aura plus qu’à recommencer !
Les rites du catharisme
            La liturgie et les rites cathares nous sont connus par plusieurs documents authentiques, dont les deux principaux sont le Rituel en occitan faisant suite à une traduction du Nouveau Testament conservé à Lyon, et le Rituel en latin faisant suite au « Livre des deux principes » dans le manuscrit de Florence.
            Les rites du catharisme se résument pratiquement à tout ce qui entoure son sacrement unique : le baptême d’esprit, qui implique l’absence de validité du baptême de l’Eglise officielle, dont les Cathares rejettent également tous les autres sacrements, à commencer par la communion et le mariage, assimilé au concubinage.
            Ce baptême cathare conduit au salut à travers l’état de Chrétien au sens de « fils de lumière » tel que défini dans « Ephésiens » : « Marchez comme des fils de lumière, car le fruit de la lumière est en toute bonté, justice et vérité ». Bonté, justice et vérité sont les vertus que le Chrétien doit acquérir par le baptême et conserver par la suite, ce qui caractérise l’état dit de « perfection ». On a en effet pris l’habitude, parce qu’elle est commode, d’appeler « Parfaits » ou « Parfaites » ceux ou celles qui ont reçu ce baptême pour les distinguer des simples croyants qui ne l’ont pas encore reçu, et en oubliant que cette appellation leur a été attribuée elle aussi par dérision. Eux-mêmes s’appelaient « Bonshommes » et « Bonnes Dames », ou simplement « Bons Chrétiens ».
Par les règles de vie dont il implique l’acceptation, le baptême cathare s’apparente à la prononciation des vœux dans un ordre monastique. C’est un don de sa personne  « à Dieu et à l’Evangile ». L’état de « parfait » est ainsi une « religio » au sens étymologique du terme. C’est un baptême d’adultes ; il exclut les enfants parce que « le baptême ne sert en rien aux enfants, car ils ne peuvent le demander par eux-mêmes, parce qu’ils ne peuvent professer aucune foi ». La critique du baptême des enfants, à cause de l’absence de foi du baptisé, et aussi de la récidive du péché après le sacrement, est la plus importante des critiques adressées par les Cathares à l’Eglise officielle. Ils observent avec leur réalisme habituel que « les enfants n’ont pas l’usage de la raison, qu’il leur déplait d’être baptisés, et vont jusqu’à pleurer et crier quand ils sont arrosés d’eau par les prêtres ». Ce qui n’empêche pas des Cathares de nourrir l’idéal d’élever un enfant dès la naissance dans les principes de leur religion jusqu’à l’âge permettant de recevoir le baptême : à partir de sept ans, ou mieux de douze ou dix-neuf. Si sa mère accouche dans une maison de « parfaits », l’enfant sera un ange sans péché, car il n’aura jamais fréquenté les hommes de ce siècle, et pourra être instruit parfaitement. Inutile de dire que cet idéal a été rarement réalisé.
Le baptême cathare, c’est l’infusion du Saint Esprit par l’imposition des mains, baptême de Paul, baptême « de feu et d’esprit saint », par opposition au baptême d’eau de Jean-Baptiste. Il opère l’arrivée du « Consolateur », le Paraclet promis par le Christ à la Pentecôte, d’où son nom de « CONSOLAMENTUM » (ou consolament ).
Le « CONSOLAMENTUM SOLENNEL » ou d’ordination est celui qui s’applique à la personne en bonne santé qui le sollicite pour mener une vie de « parfait » pendant le reste de son existence ; sa célébration au complet suppose un temps de paix de l’Eglise.
Tout commence alors par une période de noviciat, passée dans une maison de « parfaits », durant au moins un an, comportant l’apprentissage d’un métier manuel, l’apprentissage par cœur au moins du premier chapitre, de 1 à 17, de l’Evangile de Jean, et l’entraînement aux abstinences rituelles. Puis intervient, peu de temps ou immédiatement avant, une cérémonie de « tradition de l’oraison dominicale », célébrée par le doyen de la communauté, et comportant, après constatation de l’état d’abstinence de l’ordinand, et accord des chrétiens de la communauté, la remise du Livre, une catéchèse avec notamment une « glose » du Pater, le repentir des péchés, une récitation du Pater et du Parcite par le célébrant, reprise par l’ordinand, enfin trois génuflexions accompagnées chacune du mot Benedicite et un remerciement rituel, parfois deux prosternations, ou « venias », de tous les « parfaits » présents.
Le Consolamentum lui-même est donné par un « ordonné », c’est-à-dire un « parfait » membre de la hiérarchie, à défaut un simple « parfait », « Bonhomme » ou «  Bonne Dame », ou même le doyen de la communauté, assisté de celui qui le suit dans la hiérarchie ou en ancienneté, en principe par l’évêque dans la maison de l’évêque, en présence éventuellement d’un public de croyants. La cérémonie proprement dite est précédée d’une liturgie qui a pour but de confirmer les dispositions du célébrant, car son indignité rendrait nul le sacrement qu’il va donner. Elle pourrait même avoir un effet rétroactif et faire retomber du ciel des « consolés » ( ! )
Le célébrant et tous les « parfaits » présents demandent donc d’abord le pardon. Le début véritable de la cérémonie est marqué par des révérences rituelles de l’ordinand devant la table-plateau et la réception du Livre qu’il va garder contre sa poitrine pendant l’homélie du célébrant, assisté d’un ancien de sa communauté. Interrogé sur ses intentions, l’ordinand répond affirmativement. Cet engagement suppose, s’il est marié, l’absolution du lien conjugal par son conjoint, et donc l’impossibilité de recevoir le sacrement à l’insu de celui-ci.
Vient ensuite l’interpellation de l’ordinand par son prénom, un prénom d’apôtre, donné le cas échéant en vue du baptême, puis une catéchèse rappelant notamment les textes de l’Evangile qui ont institué le baptême. Le célébrant reprend le Livre des mains de l’ordinand, lui demande s’il désire recevoir le baptême ; il répond : « J’en ai la volonté, priez Dieu pour moi qu’il m’en donne la force ». Le « chrétien » qui l’assiste s’adresse au célébrant : « Parcite nobis, Bon Chrétien, nous vous prions, pour l’amour de Dieu, de donner de ce bien que Dieu vous a donné à notre ami que voici ».
L’ordinand demande à son tour le pardon rituel « Parcite nobis » à Dieu, à l’Eglise et à tous les présents. Il multiplie les génuflexions puis, debout, place les mains sur le plateau. Le célébrant place le Livre sur la tête de l’ordinand, et tous les présents posent aussi la main droite sur  sa tête en reprenant le pardon et trois Adoremus. Le célébrant dit en latin : « Père Saint, reçois ton serviteur dans ta justice et envoie sur lui ta grâce et ton Saint Esprit ». Et tout se termine pour tous les présents par une série de cinq Pater, trois Adoremus, la lecture du prologue de l’Evangile de Jean, la Gratia et le pardon.
Contrairement aux assertions de polémistes contemporains, parfois reprises par des historiens, il n’y a pas de décor rituel concernant par exemple les luminaires, malgré l’appellation de « baptême de feu », ni de prise d’habit, même si le « parfait » portait volontiers, souvent dès le noviciat, un habit noir ou bleu marine le faisant qualifier par les catholiques de « revêtu », d’ « hereticus vestitus », et a pu faire dire aux chroniqueurs que les Cathares « avaient l’air de moines et feignaient la chasteté ». De même la renonciation au baptême d’eau reçu à la naissance, la légendaire « abrenunciatio », fait partie des imputations calomnieuses. Quant au port de la barbe, il était probablement assez fréquent chez les « parfaits » pour les avoir fait parfois appeler « barbes », terme dont l’étymologie est discutable car « barbi » signifie aussi « oncle » en piémontais.
A côté de ce Consolamentum solennel faisant accéder à l’état de « parfait », il ya le « CONSOLAMENTUM DES MOURANTS », indispensable à tous les croyants, à tous les « cliniques », puisque ce baptême permet seul d’être sauvé. Au confluent de la pratique du baptême d’adultes et de la pratique monastique de l’entrée dans les Ordres « ad terminum », ou plus simplement de l’Extrême Onction, il exige que le malade soit encore conscient et conserve la parole pour s’engager, ce qui est parfois difficile à concilier avec le fait d’attendre qu’il soit à la dernière extrémité. D’où l’institution d’une cérémonie en quelque sorte préventive, le « Pacte » ou « Convenenza » ; sous la forme d’une promesse faite à genoux et d’un don, au besoin symbolique, à l’Eglise, c’est un engagement pris à l’avance de recevoir le baptême avant la mort, qui peut alors être donné même en état de coma.
On a même fini par accorder l’équivalence de cette « Convenenza » au « Melioramentum », simple révérence rituelle des croyants, comportant la demande de « Priez Dieu qu’il me mène à bonne fin ».
Le rituel du Consolamentum des mourants n’est pas différent de celui du Consolamentum solennel. Il est seulement susceptible d’être simplifié à cause de l’urgence. Si le malade doit en principe être transporté dans la maison des « parfaits » pour le recevoir, il peut être donné si nécessaire en d’autres lieux. Le pouvoir de « consoler » appartient alors non seulement aux « ordonnés » mais à tous les « parfaits », hommes ou femmes, présents au moins au nombre de deux ; à défaut il peut même être confié à une « femme d’au moins soixante ans, n’ayant été l’épouse que d’un seul homme ». Plus question de noviciat ou d’oraison préalables. Le malade doit être habillé décemment ; « qu’ils le revêtent d’une chemise et de braies, si faire se peut ». Au cours de la cérémonie, le Livre peut être placé sur une serviette, à proximité du malade, sur son lit. Le consolé doit observer les mêmes règles qu’un « parfait » ; mais comme on craint que son état ne le fasse « retomber », c’est-à-dire y commettre des entorses, un « parfait » va l’assister jusqu’au bout, afin de le « reconsoler » si nécessaire. Il arrivait peut-être que le malade se mette en « endura », c’est-à-dire au jeûne complet à l’eau, pour hâter l’issue, mais, contrairement à une assertion calomnieuse, ce n’était pas une obligation. Sont également calomnieuses les accusations, que n’atteste aucun document, de meurtres de mourants ou de suicides rituels. Authentiques par contre sont les rares cas de mourants consolés qui ont finalement survécu et se sont bien mordu les doigts de s’être ainsi engagés, et sont pour la plupart « retombés », reportant à plus tard leur « reconsolation ».
En période de persécution, lorsqu’on est contraint de l’administrer clandestinement, le rituel du Consolamentum est également simplifié et, comme dans le cas des mourants, il peut être administré par un seul « parfait » ou par une femme d’âge canonique. 
La Vie des « parfaits »
La  « règle de justice et de vérité » imposait aux « parfaits » une vie ascétique, proche de celle des ordres monastiques, notamment de celle de leurs censeurs : les Cisterciens. Egalement comme des moines, ils vivaient souvent en communauté.
L’abstinence alimentaire
C’est le trait le plus connu de cette règle. Elle est basée sur l’impureté de la chair, car toute chair, œuvre du Diable, née du coït, souille celui qui en mange. Mais selon Bélibaste, le dernier « parfait » des Pyrénées, le Christ aurait dit : « Il y a trois chairs, celle de l’homme, celle des bêtes, et la troisième qui est celle des poissons, qui se fait dans l’eau ( on pensait en effet au Moyen-Age que les poissons naissaient de l’eau ) ; ne mangez que de celles ( des bêtes ) qui sont dans l’eau, car elles sont sans corruption, mais les autres sont avec corruption, et rendent fort la chair orgueilleuse ». Les « parfaits » s’abstenaient donc rigoureusement de viande, d’œufs, de lait, de laitages et de fromage. Mais ils mangeaient du poisson et acceptaient bien entendu l’huile, comme tous les produits végétaux. On peut aussi expliquer le rejet de la viande des animaux à sang chaud, oiseaux comme mammifères, par le fait que leur corps peut abriter des esprits, ce qui n’est pas le cas des poissons, pas plus que des autres animaux à sang froid. L’histoire ne dit pas s’ils mangeaient des grenouilles et des fruits de mer, ce qui n’était pas encore très habituel mais eut sûrement été autorisé ; Il faut noter que le vin, interdit aux Manichéens, ne faisait l’objet de la part des Cathares d’aucune restriction, surtout dans un pays comme le Languedoc, même s’ils le buvaient coupé d’eau, pratique certes déplorable mais autrefois répandue, jusqu’à Napoléon avec son Chambertin!    Il est intéressant d’observer, d’un point de vue médical, que ce régime était compatible avec une alimentation équilibrée. Les « parfaits » ne s’interdisaient pas la gastronomie ; on trouve des mentions très nombreuses de leur recherche de la qualité des plats, abondamment épicés, des recettes qu’ils échangeaient, comme celle d’un pâté de poisson, ou « empastat », composé d’anguille, de saumon, de truite, et objet d’une véritable gourmandise. Ils se souciaient aussi que le vin fût bon.
Outre leur composition, les repas requéraient aussi certaines règles rituelles. Pour éviter plus sûrement les écarts, pour la nourriture comme pour le reste de la règle, les « parfaits » étaient tenus de vivre à deux, et donc de manger à deux ; en l’absence de son compagnon, de son « socius », ou de sa compagne ( de même sexe ), un « parfait » ou une « parfaite » ne pouvait manger, sauf à s’en trouver un, ou une, autre. Le repas était obligatoirement précédé d’une prière, une version du Benedicite. La préparation des aliments faisait l’objet d’un soin particulier, pour éviter, même par inadvertance, une souillure par la chair, cette « fereza » maudite. Ainsi, pour préparer un poisson à un « parfait », on devait laver une poêle « à cinq eaux ». Pour plus de sûreté, le « parfait » portait sur lui son gobelet, voire sa cassolette de terre. S’il lui fallait dissimuler en public son abstinence révélatrice, il était capable d’escamoter une portion de viande sans y toucher.
A cette abstinence permanente venaient s’ajouter trois carêmes ou quarantaines par an, le premier coïncidant avec le carême catholique, le deuxième allant du lundi de Pentecôte à une date nécessairement variable, et le troisième de la St Brice ( 13 novembre ) ou vers la St Martin ( 11 novembre ) jusqu’à Noël. La première et la dernière semaine de ces carêmes étaient strictement au pain et à l’eau, ainsi que, dans l’intervalle, les lundis, mercredis et vendredis. Ces mêmes jours comportaient toute l’année l’abstention de vin, d’huile et de poisson, sauf en période de travail et de voyage. Les trois carêmes étaient également imposés aux novices.
 
 
La continence sexuelle
La continence sexuelle totale est le second trait important de la vie des « parfaits ». L’acte de chair n’est autre, en effet, que le « fruit défendu », le péché originel, l’acte diabolique par excellence. Que ce soit dans le mariage ou hors mariage, la luxure est le péché « dont la puanteur monte jusqu’à la voûte du ciel et s’étend par le monde entier ».  Les Cathares tirent des Evangiles            ( surtout de Matthieu et de Luc ) et de l’Epitre de Paul une longue série de citations qui, mises bout à bout ( on sait ce que peut donner l’assemblage de phrases isolées de leur texte d’origine ), constituent un vrai petit traité contre le mariage. Celui-ci est considéré comme une convention sociale ; l’Eglise, qui le consacre, se conduit en proxénète.
La fornication est une véritable obsession pour les cathares, qu’illustre une phrase de Matthieu : « Je vous dis que celui qui a vu une femme pour la désirer a déjà forniqué avec elle dans son cœur ».  Il en résulte des observances méticuleuses : le « parfait » ne doit pas toucher la peau d’une femme, même pas la frôler ; plus encore il se retire sur son passage, ne s’assoit pas sur le même siège, ne doit jamais se trouver seul avec une femme dans une pièce fermée. Toucher une femme expose à une pénitence qui est un jeûne de neuf jours au pain et à l’eau. Bien entendu il en va de même pour une « parfaite » vis-à-vis des hommes.
La prière
            La prière est bien sûr une obligation permanente pour le « parfait ». Elle est dite en commun dans les maisons de « parfaits ».
            Les  heures des prières forment une série répétée un certain nombre de fois le jour et la nuit ; les chiffres varient : cent génuflexions par jour, sept fois le jour et cinq fois la nuit, quinze fois pour le jour et la nuit….
            Leur teneur est également variée, l’ancien et les autres « parfaits » se répondant. Se succèdent, éventuellement répétés plusieurs fois, le « Benedicite parcite nobis », l’Adoremus, le Pater noster qui tient une place privilégiée et que les Cathares contestent aux Catholiques le droit de réciter, en les accusant de mentir, Jean ayant dit : «  Vous êtes de votre père le diable ». Ces prières sont dites, semble-t-il, en latin. Le « parfait » se doit de connaître par cœur le début de l’Evangile de Jean, minimum indispensable pour administrer le Consolamentum.
            Les prières peuvent être accompagnées de prosternations qu’on appelle du nom occitan de « venias », proches des « veniae » monastiques. Ces mouvements semblent avoir été assez semblables à ceux de la prière musulmane, les mains étant souvent placées sur un banc ou un coussin.
Les prières peuvent être interrompues ou abrégées en présence de tiers avec qui le « parfait » doit parler.
L’interdiction du mensonge
            Etre dans la vérité impose l’interdiction absolue du mensonge. Le mensonge volontaire obligerait à une reconsolation ; le mensonge involontaire lui-même serait sanctionné par une pénitence. Le « parfait » craint tant  de tomber involontairement dans la contre-vérité qu’il se garde de rien affirmer : même devant un fait peu contestable, il dit toujours : « je crois que c’est ainsi ». Cette seule façon de parler pouvait suffire à le faire reconnaître. Les « parfaits » poussaient même l’obligation de vérité jusqu’à passer des aveux devant l’Inquisition ; une fois pris, ils confessaient leur foi et révélaient les noms de leurs frères.
L’interdiction du serment
            Basée sur Matthieu et Jacques, la prohibition du serment est tout aussi stricte, considérée comme un commandement du Christ. Le serment est un péché obligeant à être reconsolé. Ce refus du serment était lui aussi de nature à trahir les « parfaits ».
« Tu ne tueras point »
            Le commandement « tu ne tueras point » est pris à la lettre, aussi bien d’ailleurs par les simples croyants que par les « parfaits ». Son application à l’homme est commune à toutes les familles chrétiennes, mais les Cathares l’étendent aux animaux à sang chaud qui peuvent abriter des esprits, non aux animaux à sang froid qui sont la laideur, la « legeza », dans laquelle aucun esprit ne s’incarne, ni aux végétaux comme le faisaient les Manichéens.
            Il faut reconnaître que des Cathares ont parfois tourné la difficulté de cette prohibition du meurtre pour assassiner leurs délateurs ou leurs persécuteurs. Le fils de Dieu ayant dit « qu’il fallait extirper la mauvaise herbe du champ » et « les mauvaises herbes étant représentées par les mauvais et faux croyants qui veulent dénoncer les Bonshommes et les bons croyants, il faut les arracher et les couper, c’est-à-dire les tuer par tout moyen ». Lorsqu’un faux frère a dénoncé des croyants ou lorsqu’un Catholique en a persécutés, le « parfait » réunit les croyants et leur dit « il y a un faux frère parmi nous, voyons ce que vous savez faire ». Ainsi s’expliquent certains coups de main, encore que leur exécution ait été souvent le fait de chevaliers sympathisants, et non de Cathares, ainsi pour l’attentat d’Avignonet dont on reparlera.
            Cela ne doit pas empêcher de considérer le comportement des Cathares comme essentiellement non-violent. Poussant toujours plus loin le respect de l’enseignement évangélique, les Cathares passent en effet à l’apologie de la non-violence. Ils rejettent la guerre, et la croisade, cette guerre sainte de l’Eglise contre les « hérétiques », comme directement contraires à l’Ecriture. Ce ne sont donc pas des «  intégristes ».
            Ils réfutent l’exercice de la justice, et même le recours à la justice des hommes : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ».
Ils nient le pouvoir temporel car, depuis l’avènement du Christ, ce pouvoir a cessé. Dans la société cathare méridionale du début du 13ème siècle, la présence d’un « parfait » suffit à imposer une trêve aux belligérants. Et la qualité de croyant, vis-à-vis d’un seigneur cathare, relâchait le lien féodal. Les Cathares rejettent la justice pénale, et la peine de mort, car « Dieu ne veut pas la mort du pécheur » et le châtiment suprême ne peut être que l’obligation de se faire « parfait ».L’état de « parfait » est au demeurant commode pour bénéficier de l’impunité. Certains ont embrassé cette carrière sans grande vocation pour cette raison.
Même rejet pour la justice civile, qui doit être remplacée par l’arbitrage de « parfaits » de haut rang.
Ce refus des institutions est évidemment à l’origine de l’accusation à l’encontre des cathares non seulement d’hérésie mais de subversion, et ajoute une justification politique à la justification religieuse de leur persécution.
Le travail manuel
            Dernière obligation des « parfaits », l’exercice d’un métier manuel. Le poncif du « nirvana » cathare est un contre-sens.
            Le précepte est tiré de l’Epitre aux Thessaloniciens : « Travaillez de vos mains, comme nous vous l’avons ordonné ; si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ».
Dans chaque maison de « parfaits » s’exerce un métier et on y dispense à la fois la bonne parole et l’apprentissage. De tous les métiers, ceux du textile ont connu la plus grande faveur, d’où le nom de « tisserands » souvent donné aux cathares.
Certains « parfaits » étaient médecins, mais la pratique de la médecine n’était pas une généralité. Les « parfaites » étaient cependant toujours capables de donner des soins.
Le commerce n’était pas interdit, portant le plus souvent sur de menus objets : ciseaux, couteaux, peaux, gants, mercerie, peignes, aiguilles. Le colportage, justifiant le déplacement de foire en foire, présentait des avantages trop évidents pour n’être pas largement utilisé.
Bien que les « parfaits » n’aient pas eu, comme les Vaudois, interdiction de porter de l’argent sur eux, il semble qu’ils ne se soient jamais livré à l’usure.
Contacts rituels entre la hiérarchie, les « parfaits » et les simples croyants
            A côté des règles précédentes, certains rapports entre la hiérarchie, les « parfaits » et les simples croyants revêtent une forme rituelle.
            L’ « Apparelhamentum » ou « Service » ou « Confession » est l’acte de soumission mensuel d’une communauté de « parfaits » à un visiteur de la hiérarchie. Ils s’accusent globalement, par l’intermédiaire de l’« ancien », de leurs manquements véniels à la règle, à grand renfort de prosternations, ou même allongés face contre terre, en prononçant une longue formule ponctuée de « Benedicite parcite », que le rituel de Lyon conserve en occitan.
            Le représentant de la hiérarchie inflige des pénitences, sous forme de jours de jeûne ou de séries de génuflexions, plus ou moins exactement tarifées selon la faute commise : par exemple neuf jours au pain et à l’eau pour avoir menti involontairement ou touché, et même frôlé, une femme. Les péchés mortels, c’est-à-dire enfreignant les grandes interdictions, entraînaient une procédure plus lourde : confession individuelle secrète, série de carêmes, périodes de jeûne « a trapassar » c’est-à-dire sans manger ni boire, jusqu’à 27 jours, mais en discontinu, enfin reconsolation. Mais dans ce dernier cas, l’ancienneté était perdue et le droit de donner le Consolamentum définitivement retiré.
L’apostasie et la trahison active restaient au-dessus de la possibilité de pénitence. Par contre, l’abjuration sous l’empire de la nécessité y restait accessible et les exemples sont nombreux de « parfaits » reconsolés après un tel avatar.
Le « Melioramentum » déjà évoqué est un témoignage de respect des simples croyants vis-à-vis des « parfaits », porteurs du Saint Esprit, soit lors d’une première rencontre, soit dans des circonstances solennelles. Dans un rite plus ou moins long, ils y allaient de quelques génuflexions et prosternations, de formules où revenait le Benedicite. Et tout se terminait par le « baiser de paix », qu’on appelait les « caretas » ( les charités ). C’était une embrassade consistant à incliner la tête sur une épaule du parfait, puis sur l’autre, et de nouveau sur la première. Elle n’était bien entendu pratiquée qu’entre personnes de même sexe. On a vu que la valeur de ce Melioramentum avait rejoint avec le temps celle de la « Convenenza », rendant possible un Consolamentum in extremis même à un malade inconscient. Les « parfaits » pratiquaient aussi le Melioramentum entre eux.
Dernière pratique haute en signification dans les assemblées de Cathares, pratique liée à la récitation du Benedicite avant les repas : le « Pain de la Sainte Oraison », c’est-à-dire le partage du pain, rompu ou même découpé avec un couteau par l’ancien en récitant le Pater ; chaque croyant recevant de ce pain demandait : « Bénissez-moi, Seigneur », et le « parfait » répondait  « Dieu vous bénisse ».
Les Cathares rejetaient avec horreur la comparaison avec l’eucharistie, malgré une parenté évidente, à cause de l’idée de « manger le corps du Christ » qui s’y rattache même symboliquement. Le Christ n’a pu donner sa chair à manger à ses disciples, lui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien ».
Ce pain bénit est peut-être la seule chose qui a fait l’objet de la part des Cathares d’une certaine dévotion. Il était parfois conservé, adressé à des frères lointains, et même conservé comme relique d’un « parfait » décédé.
Le peuple des croyants
            Ayant beaucoup parlé de cette élite que formaient les « parfaits », il convient de dire un mot de ce petit peuple des simples croyants. Leur mode de vie est moins connu, d’autant que souvent objet de calomnie. Sans aucun doute leur vie était beaucoup plus libre qu’elle n’était, au moins en principe, dans la société catholique de l’époque ; on a dit bien sûr qu’ils menaient joyeuse vie, ou même une vie dissolue. Les accusations extravagantes ne se comptent pas : accusation de meurtre rituel, de débauche rituelle, d’inceste, de sodomie, de bestialité ; on va jusqu’à raconter des cérémonies évoquant des messes noires : «  Quand hommes et femmes se rassemblent dans un endroit fermé, obscur, ils allument une lumière, et subitement leur apparait un très grand chat et ils le baisent au derrière ; cela fait, le chat éteint la lumière, et aussitôt chacun abuse de l’autre, les mâles faisant leurs turpitudes sur les mâles, les femmes sur les femmes….. ». Même si l’on n’accorde pas foi à des récits aussi suspects, il est certain qu’à l’opposé des contraintes des « parfaits », bien plus grandes que celles du clergé catholique, les simples croyants avaient moins de contraintes que les fidèles catholiques, notamment du fait du peu de cas qu’ils faisaient du mariage ; alors pourquoi ne pas en profiter ?
            On peut penser cependant que leur vie s’inspirait de certaines règles observées par les « parfaits », aussi bien dans ce qu’elles avaient de plus noble, comme le refus de tuer, que dans les perspectives permissives qu’elles pouvaient ouvrir : refus du pouvoir des hommes. La condition féminine est nettement plus avancée chez les Cathares que chez les Catholiques ; on a vu l’égalité des hommes et des femmes vis-à-vis du Consolamentum. Toutefois, encore prisonniers du mal, les simples croyants n’avaient pas le droit de s’adresser directement au Père, et ne pouvaient prier que par l’intermédiaire--intercession des « parfaits ».
            Faisant cependant partie intégrante de l’Eglise cathare, ils retrouvaient les « parfaits » dans de nombreuses réunions, parfois massives et au grand jour en période de paix, clandestines en période de persécution : lecture de textes lors de diverses fêtes, assistance à la prédication. Ils suivaient la « recommandation », c’est-à-dire s’efforçaient de faire du prosélytisme, de recruter d’autres croyants parmi les ignorants ou les indifférents, et ce fut un chef d’inculpation constamment recherché par l’Inquisition.
            A côté des croyants participant aux rites tels que le Melioramentum, il y avait certainement un nombre plus grand encore de sympathisants, expliquant l’ancrage solide du Catharisme dans la population.
L’Eglise cathare
            L’Eglise cathare proclame sa défection de l’Eglise romaine. Bien que peut-être exagérés, le relâchement, voire la corruption, qui se manifestaient dans celle-ci à l’aube du 13ème siècle, ne sont sûrement pas étrangers à l’essor du Catharisme, comme on le retrouvera plus tard pour la Réforme.
            Les Cathares dénient à l’Eglise romaine l’héritage et le caractère de l’Eglise dépeinte dans le Nouveau Testament. Pour eux, Pierre n’est jamais venu à Rome et n’a pas été pape. C’est la donation de l’empereur Constantin au pape Sylvestre qui a consommé à leurs yeux la déchéance de cette Eglise ; ce Sylvestre était l’Antéchrist et ses successeurs ont poursuivi ce rôle. De ce jour l’Eglise a connu l’orgueil et la richesse. Ses prêtres ne sont que des mercenaires qui se propulsent toujours aux premières places. Vêtue de pourpre, cette église festoie chaque jour ; elle ne travaille pas de ses mains mais dévore le travail des autres. Elle viole l’Evangile, ne pardonne pas, persécute et au besoin tue, approuve la guerre, la croisade et la justice séculière. Cruelle pour ses ennemis, elle abuse de son pouvoir sur ses fidèles, à qui elle extorque des fonds sous forme de dîmes ou d’achats d’indulgences. Elle pratique et enseigne l’idolâtrie en faisant adorer la croix et les images. « Si quelqu’un avait tué le fils du roi avec un morceau de bois, est-ce que ce bois pourrait être cher au roi ? ». On prête aux Cathares d’avoir imaginé, par dérision et mépris de la croix, la représentation du crucifié un pied sur l’autre avec un seul clou. En se prêtant au mariage, l’Eglise romaine se conduit pour les Cathares en proxénète et en courtisane ; elle est la prostituée de Babylone de l’Apocalypse. Abreuvant de poison ceux qui croient en elle, comment pourrait-elle absoudre les péchés ?
            Les églises ne sont que des bâtiments comme d’autres, car Dieu est partout, on peut l’adorer et le prier partout. Il n’est pas jusqu’aux sonneries de cloches et au chant de l’office, cet ululement inintelligible abusant le peuple crédule, qui ne suscitent la condamnation des cathares.
            L’Eglise cathare, c’est la seule Eglise, la seule vraie Eglise de Dieu, la « gleisa de Dio ». Elle ne réside que dans les « parfaits », puisqu’on n’est chrétien que par le baptême et que le baptême est le Consolamentum. « La seule Eglise de Dieu est là où il y a un Bon Chrétien, car lui est l’Eglise de Dieu ». C’est au point qu’on appelle parfois les « parfaits » des « églises ». Les cellules de base sont les maisons cathares, parfaitement ouvertes sur le monde. L’Eglise cathare se proclame la seule Eglise historique, héritière de la succession apostolique.
            Sa structure rappelle cependant celle de l’Eglise officielle. Les « parfaits » constituent un véritable clergé. Les cellules de base sont les maisons cathares, les maisons de « parfaits » ou de « parfaites », ouvertes sur le monde. Dans une communauté, l’ancien a les prérogatives d’un supérieur ou d’un prieur. C’est lui qu’on salue, auquel le cuisinier annonce que la table est prête, qui dirige les prières et rompt rituellement le pain, qui même, à certaines époques officie dans le Consolamentum.
            Mais le premier « ordre » de la hiérarchie, de l’ « Ordenament », de         l’ « Azordenament », le premier de ce qu’on appelle les « ordonnés »,  est le diacre, qui préside une communauté importante, sur un territoire d’étendue variable selon les régions et les époques, à peu près celle d’un canton actuel en Lauragais au 13ème siècle. Le diacre est chargé de l’ « Apparelhamentum », ou « Service », et des tâches de gestion.
            Au-dessus du diacre, premier véritable prélat, l’évêque est à la tête d’une Eglise, assisté d’un « fils majeur » appelé à lui succéder, et d’un « fils mineur » appelé à devenir « fils majeur ». A cette Eglise correspond une sorte de diocèse, dont l’étendue a varié aussi selon les pays et les époques. Pour la zone correspondant au territoire actuel de la France, il y a eu d’abord deux Eglises : l’Eglise de « France » ( entendons France du nord ) et l’Eglise d’Albi ; l’importance historique de cette dernière explique probablement l’appellation d’ « Albigeois » qu’on applique parfois aux Cathares en France. Cette Eglise d’Albi a été ultérieurement scindée en quatre nouvelles Eglises : Albi, Toulouse, Agen et Carcassonne ; et même davantage par la suite. S’il a un rôle de gestionnaire temporel et financier, l’évêque n’a rien de commun avec un prélat catholique : il reste pauvre et itinérant ; on fait appel à lui pour les cérémonies solennelles. Il a le privilège d’ordonner, par l’imposition des mains, diacres et fils. C’est à lui seul qu’appartient la punition et la réconciliation des péchés mortels, tandis que le pouvoir du diacre se limite aux confessions mensuelles collectives des péchés véniels lors du « service ». Il est nécessaire d’ajouter que s’il existait aussi bien des « parfaites » ou Bonnes Dames que des « parfaits » ou Bonshommes, les « ordres » n’étaient accessibles qu’aux hommes !
            L’existence d’un pape des Cathares est sujette à controverses. Cathares et catholiques y ont cru ou l’ont prétendu, les premiers par gloriole, les seconds pour grossir le péril couru par l’orthodoxie et faire allusion à un « antéchrist ». Cette idée d’un pape repose peut-être sur la confusion entre le terme de père ou « papas » attribué à certains dignitaires respectés par les Cathares de tous les pays, et celui de pape, qui peut en être la traduction erronée. De tels dignitaires présidaient en effet dans les grandes occasions des « conciles » traitant de la fixation du dogme, examinant par exemple la question du dualisme absolu ou mitigé, à l’origine de diverses écoles, et même de schismes dans le catharisme ; organisant l’Eglise et délimitant les diocèses. L’exemple le plus célèbre est celui du concile de Saint Félix de Caraman, aujourd’hui Saint Félix-Lauragais, en 1167, présidé par Nicétas, évêque cathare de Constantinople, où fut scindée l’église d’Albi.
Sociologie du Catharisme
            La sociologie du Catharisme est intéressante à considérer au regard des pays où il a fleuri.
            Si la règle des « parfaits » est ascétique et les astreint à vivre de leur travail, l’Eglise a le droit de posséder un temporel. Et de fait, celui-ci a comporté à l’époque de paix de l’Eglise des biens immobiliers, des champs, des vignes, du bétail, et même des droits féodaux ; en période de vie clandestine, des dépôts bancaires, bien que la Suisse n’existât pas encore, et des « trésors » en numéraire dissimulés dans des lieux sûrs.
La source de ce capital résidait dans les apports de ceux qui entraient en religion et léguaient tous leurs biens, dans les legs obligatoires bien que proportionnés à la richesse, des croyants qui demandaient à entrer dans la règle à leur dernière heure, au point qu’on parlait crûment de « paiement » du Consolamentum, enfin les aumônes faites par les croyants aux « parfaits », normalement au profit de la communauté, à leur profit individuel seulement en cas d’impossibilité de travailler du fait de la persécution.
Pour les grands personnages, c’était une marque particulière de déférence et d’affection pour l’Eglise que d’offrir, outre bien entendu des espèces sonnantes et trébuchantes, les objets les plus personnels : le cheval de guerre, l’armure, voire…..le lit.
On pouvait refuser le Consolamentum à un mourant s’il n’avait pas acquitté sa dette envers l’Eglise, sauf toutefois impossibilité matérielle, ce qui devait offrir bien des accommodements.
Les fonds étaient gérés par les diacres, mais la collecte et le maniement direct confiés à des croyants de confiance appelés « nuntii » jouant un peu le rôle des bayles percevant les redevances dues à la noblesse méridionale.
On a pu dire que le mouvement cathare s’était développé surtout dans les régions économiquement prospères, notamment grâce à la laine et ayant accédé les premières aux libertés communales. A regarder de plus près sa répartition géographique, très éclectique, il parait plus juste de penser que le Catharisme, par ses deux aspects, travail et richesse, a contribué à cette prospérité économique, avec en particulier l’importante contribution des « parfaites » à l’industrie textile.
La richesse matérielle a permis, en période de persécution, l’exode des hommes, des talents et des biens, par exemple du Languedoc en Lombardie. Elle a souvent servi aussi à financer des prêts sans intérêt, notamment de réinstallation, à payer des rançons, à acheter des notables.
La répartition du Catharisme dans les diverses couches sociales ruine la thèse des Croisés et des Inquisiteurs qui avançaient le caractère révolutionnaire, anarchique et subversif du mouvement. Il est en effet étendu à toutes les classes de la société et le nombre des nobles a été estimé à 25% des croyants, pourcentage probablement plus élevé encore parmi les « parfaits ». Et si les cathares étaient en guerre contre le Roi et l’Eglise, ce n’était pas pour prêcher la révolution, mais parce que le Roi et l’Eglise la leur avaient déclarée. Ils ne s’en prenaient pas aux seigneurs locaux, qui souvent abandonnaient d’eux-mêmes leurs prérogatives.
Quant à la place de la femme dans la société, il faut considérer l’indiscutable misogynie cathare dans le contexte général du Moyen-Age. Même à l’époque de la « société courtoise », qui coïncide avec l’essor du Catharisme, sa place restait bien figurative et elle ne participait pas aux responsabilités ou à la vie intellectuelle. Selon l’historien allemand Koch, la sous-classe opprimée des femmes n’avait d’autre moyen de s’exprimer que le mode religieux et elle le fit dans l’engagement hérétique. Le Catharisme, qui faisait des « parfaites » aussi bien que des « parfaits », et dans lequel, cessant d’être passives devant la prédication, elles y accédaient à leur tour, marquait son avance sur la religion officielle. Bien sûr, les femmes restaient exclues de la hiérarchie et, en ce qui concerne les simples croyantes, loin de leur apporter l’égalité des droits et la liberté sexuelle, le catharisme ne leur proposait qu’un idéal de puritanisme et de devoir. Mais c’était une réaction contre les mœurs relâchées de l’époque et  ce n’était pas pire que dans les autres religions. La procréation étant considérée comme un mal nécessaire, l’attitude de l’Eglise cathare, à une époque où toute contraception était exclue, et où les femmes vieillissaient avant l’âge après avoir eu de nombreux enfants dont un sur quatre survivait, était bien plus réservée que le « croissez et multipliez » de l’Eglise officielle.
            La place de la femme variait assez nettement selon les régions, certaines civilisations se montrant très en avance sur les autres, comme le Languedoc, où « parfaites » et croyantes ont joué un rôle majeur.
            Dans leurs maisons, les « parfaites » prodiguaient la bonne parole, jouaient un rôle essentiel dans l’éducation des enfants et exerçaient souvent le  petit commerce. En venant leur acheter des gants ou des chemises, on venait aussi leur demander conseil, tant leur vie, si conforme aux préceptes du Christ, leur conférait de prestige.
            A l’heure de la répression, lorsqu’on évoque des Cathares livrés au bûcher, on insiste toujours sur la présence parmi eux de « belles hérétiques », de « belles dames », souvent de dames nobles.
            Nobles dames en tous cas. Femmes cathares, cœurs ouverts et mains ouvertes !
La persécution
            Déjà évoquée à maintes reprises, la persécution est tellement indissociable du catharisme qu’elle s’est incorporée à sa tradition religieuse. On la désigne du terme rituel de « scandale ».
            Violente et sanglante dès les débuts, au 11ème siècle, plus discrète, semble-t-il, dans la première moitié du 12ème, elle éclate de nouveau à la fin du 12ème et au début du 13ème, culminant avec la croisade contre les Cathares du Languedoc. Exercée à l’origine par les Cisterciens, elle s’organise méthodiquement avec l’Inquisition, créée à partir de 1231 par le cardinal de Saint Ange sous le pape Grégoire IX, et confiée aux Dominicains. Ceux-ci en partageront plus tard la responsabilité avec les Franciscains, dans une action bien éloignée de l’esprit de leurs fondateurs respectifs.
            Il est remarquable d’observer que les Bénédictins originels, c’est-à-dire les Clunisiens, et les Templiers, n’ont jamais pris part à cette répression, et paraissent avoir observé vis-à-vis du Catharisme une totale neutralité, si ce n’est peut-être, dans le cas des Templiers, et bien qu’on n’en possède pas la preuve, une véritable connivence.
            Les diverses peines infligées par le « bras séculier » mais dictées par les Inquisiteurs ( les ecclésiastiques ne pouvant eux-mêmes être exécuteurs ! ) vont de sanctions relativement bénignes telles que l’obligation de pèlerinage, pour de simples sympathisants lorsqu’ils ont trahi ou livré des Cathares, à des emprisonnements souvent très longs, voire à vie, dans les conditions particulièrement dures de ce qu’on appelle le « mur », pour ceux qui ont aidé ou hébergé des Cathares, et bien sûr au bûcher pour les Cathares qui persistent dans leur foi ou qui y retournent après avoir abjuré, ceux qu’on appelle les « relapses ».          
Si les Cathares, grâce à la profondeur de leur foi, vont au bûcher avec joie, le martyre tenant lieu le cas échéant de baptême, leur attitude face à leurs juges et à leurs bourreaux est une leçon de psychologie, d’habileté et, pour tout dire, d’efficacité.
            La clandestinité, qu’on appelle l’« arcane », qui s’impose en période de persécution est déjà une école de prudence, avec le secret des rites, pratiqués dans des maisons sûres ou dans des grottes, la mobilité aussi, y compris des fonds, facilitée par un réseau de sympathies.
            Il ya des attitudes de dénégation, devant le danger immédiat d’autorités religieuses ou politiques vigoureuses ou de foules menaçantes. Il y a des conversions au catholicisme, par doute, par intérêt, mais aussi par peur et, dans ce cas, si la foi demeure, ce n’est pas irréparable. Le retour est possible et même la reconsolation pour les « parfaits ».
Le « parfait » arrêté, tenu par la règle de vérité, rend compte franchement de sa croyance, qu’il ait l’intention de persister ou d’abjurer. Il refuse de manger, c’est-à-dire fait la grève de la faim, ou même se met en « endura », c’est-à-dire refuse de manger et de boire, se faisant en quelque sorte son propre meurtrier. Cette attitude a tout pour créer l’embarras chez ses persécuteurs. La règle de vérité lui impose aussi de dénoncer les croyants. Gage de sincérité s’il renie sa foi, cet acte peut aussi atténuer sa peine même en l’absence de reniement, par une sorte de marchandage. La même attitude permet à de simples croyants d’échapper à l’interrogatoire ou, en tous cas , à la condamnation.
Parfois, dans une intention d’ostentation, et en enfreignant quelque peu la règle de vérité, l’effectif réel est grossi, impressionnant et décourageant les persécuteurs devant l’ampleur insoupçonnée de leur tâche. Cela tient de la désinformation.
Les proches du « parfait » arrêté vont à la fois mettre à l’abri le plus possible des personnes dont on sait qu’il va les dénoncer, et chercher à organiser son évasion, au besoin par la force ainsi légitimée, plus souvent en achetant les geôliers.
Evadé, le « parfait » est habituellement reconsolé, en raison des infractions à la règle entraînées par l’arrestation, même sans abjuration.
Le recours à la force trouve une seconde justification dans l’élimination physique des délateurs volontaires ou des persécuteurs, comme on l’a déjà évoqué.
Exemple historique de lutte non violente, à part l’exception précédente, cette attitude a permis à leur mouvement d’éviter la destruction totale et de survivre longtemps….. peut-être jusqu’à nos jours ?
Si horribles et massifs qu’ils aient pu être, les massacres de Cathares n’ont pas été jusqu’au génocide.
La Symbolique cathare
            C’est en connaissant les conséquences de la persécution qu’il faut aborder la difficile question de la symbolique cathare. L’habitude de l’Inquisition de brûler les maisons des Cathares, de détruire leurs biens et leurs sépultures après exhumation des cadavres, réduit beaucoup la possibilité de retrouver les objets ou les symboles de leur culte.
            Les emblèmes les plus communément considérés comme cathares sont les fameuses stèles discoïdales dont le Lauragais offre un important groupement. Il en existe trois catégories :
--- les petites stèles discoïdales crucifères portant sur les deux faces du disque une croix champlevée simple à branches égales, sûrement de caractère funéraire,
--- les stèles armoriées, de plus grande dimension, présentant des fleurs de lys, des croix de Toulouse ( croix perlée du Languedoc ), parfois un dessin triangulaire énigmatique évoquant un fer court en forme de pioche, ou plus long en forme de glaive, stèles souvent approximativement alignées qui suggèrent un bornage,
--- enfin des stèles avec des représentations d’outils
            Les représentations humaines y sont rares et grossières.
            La parenté entre ces stèles et les meules indique qu’elles étaient probablement exécutées par les mêmes artisans.
            Plusieurs arguments font écarter tout rapprochement entre ces monuments et le Catharisme :
--- ils sont largement répandus dans le temps et dans l’espace, y compris dans des endroits où le Catharisme n’a jamais été présent, des Etrusques à l’Espagne préromaine, gallo-romaine et médiévale, de la Suède à la Syrie chrétienne et au Maghreb contemporain, au Pays Basque du 10ème siècle à nos jours,
--- ils sont postérieurs quand on peut les dater, à la période où les Cathares pouvaient avoir des sépultures avouées,
--- les cimetières cathares auxquels font allusion les sources historiques, et qui n’ont pas laissé de traces, se trouvent dans des localités où l’on n’a pas trouvé de discoïdales.
            De toute façon, la question d’une croix cathare ne devrait même pas se poser. Il ne peut pas y avoir, et il n’y a pas, de croix cathare, pour la raison essentielle que les Cathares rejettent avec horreur l’idée même d’adorer l’instrument du supplice du Seigneur.
            Quant aux « stecci » ou « stecak » de Bosnie-Herzégovine, monuments monolithes en forme de « maison », constitués d’un parallélépipède surmonté d’un double rampant, groupés en nécropole, antérieurs à l’époque turque, ils semblent correspondre davantage à une tradition ethnique qu’à une symbolique religieuse, chrétienne et a fortiori attribuable aux Cathares locaux, les Bogomiles.
            Le plus émouvant des symboles cathares supposés est probablement cette colombe d’argile à l’aile brisée trouvée à Montségur…..
Les Origines du Catharisme
            Cette évocation des Bogomiles nous amène au problème le plus ardu que pose le catharisme et que j’ai gardé pour la fin, celui des ses origines, de ses aspects selon les zones géographiques, de ses variantes doctrinales, pour finalement concentrer notre intérêt sur le Languedoc.
            Toute tentative de recherche de la filiation du catharisme et de sa progression géographique se heurte à un double écueil : les lacunes qui existent dans les documents, dont beaucoup ont été détruits, ce qui oblige à laisser des blancs, et le travers consistant à « voir l’hérésie partout », si l’on se fie sans un esprit critique suffisant aux documents les plus abondants : les rapports d’enquête de l’Inquisition.
Les religions dualistes non chrétiennes    
Il faut en premier lieu remonter aux religions dualistes les plus anciennes, non chrétiennes et surtout asiatiques.
            Vers 800 avant Jésus-Christ, en Perse, le prophète Zoroastre, dont Nietzsche fera Zarathoustra, fonde le Zoroastrisme, religion basée sur l’affrontement de deux divinités : Ormudz, le bien, la lumière, l’esprit ; et Ahriman, le mal, les ténèbres, la matière. Cette religion, officielle en Perse pendant mille ans, comporte l’adoration du soleil, symbole de la vie et de la divinité. Elle a peut-être influencé le judaïsme, mais ne s’articule pas avec le christianisme dont se réclament les Cathares.
            Vers 500 avant Jésus-Christ, en Babylonie, un nouveau prophète, Manès, ou Mani, prêche une religion qui allie peut-être à un fond chrétien des éléments pris au Bouddhisme. On y retrouve l’opposition entre deux principes : le bien et le mal. Le bien, la lumière, le soleil, c’est Dieu, mais il n’existe qu’à l’état spirituel, règne dans les cieux et n’a pas créé le monde ; le mal, c’est Satan, ange déchu, mais c’est lui qui règne sur le monde, qui est son œuvre. L’homme a en lui deux natures, l’une divine, l’autre animale, en perpétuel conflit. Suivant ses mérites ou ses fautes, il est réincarné dans le corps d’un pur ou dans celui d’un humain ou d’un animal. Ce « Manichéisme », qui séduit par sa simplicité les masses populaires auxquelles il fournit l’explication de leur condition misérable, s’est certainement répandu, notamment en Afrique, mais s’est fait discret, en se diluant probablement sous l’influence du Christianisme et de l’Islam. Sa similitude frappante avec le Catharisme oblige à admettre une parenté entre eux. Cependant, le Catharisme n’est pas plus un Manichéisme sans Manès et ses livres qu’il n’est un Judaïsme sans Moïse et la Thora ou un Islam sans Mahomet et le Coran ; il se réclame du Christ et du Nouveau Testament. «  Et il n’est pas plus difficile d’imaginer une élaboration spontanée du Catharisme à une époque déterminée qu’une régression du Manichéisme vers une forme strictement néo-testamentaire et un abandon de la plupart de ses formes mythiques ». Le terme de « Manichéens » appliqué aux Cathares est donc erroné. Mais comment interpréter la mention de la présence de « Manichéens » dans le futur Comté de Foix au 4ème siècle de notre ère ?
            L’hérésie « Paulicienne » et l’hérésie « Messalienne » d’Arménie et de Syrie sont proches du Manichéïsme.
            Avec le Mandéisme, dernière religion du tronc sémitique à avoir fleuri jusqu’à une époque contemporaine des premiers Cathares, le message chrétien se fait jour et le rapproche du catharisme, mais sa doctrine en diffère sensiblement : les Mandéens se réclamaient en effet de Jean-Baptiste, tenaient Jésus pour une espèce d’antéchrist…..et abominaient le célibat.
             Pas plus la référence à des rites païens de l’Europe préchrétienne, celtes ou autres, auxquels certaines calomnies proférées à l’encontre des Cathares font penser, que l’allusion à divers mythes ésotériques comme la poursuite du Graal, nés des légendes germaniques, qui auraient bien étonné les hommes de Montségur, n’apportent d’arguments sérieux à une éventuelle filiation.
Les autres « hérésies » contemporaines du Catharisme
            Il faut aussi distinguer le Catharisme d’autres hérésies qui lui furent contemporaines, avec lesquelles on l’a parfois confondu, et qui, pour certaines, lui ont peut-être survécu. Ainsi le Valdéisme, qui tire son nom du lyonnais Pierre Valdo ou Vaudès, dont le dualisme était beaucoup moins net, dont les adeptes ne travaillaient pas et vivaient dans la pauvreté comme des mendiants itinérants, et dont la distribution géographique s’est limitée à la vallée du Rhône et aux Alpes. Ces « Vaudois » ou « Pauvres de Lyon » se sont toujours opposés aux Cathares. Valdo lui-même fait, en 1180, devant son archevêque Guichard, qui le chassera de Lyon, et devant le légat pontifical, une profession de foi destinée à affirmer son orthodoxie catholique, impensable pour un Cathare. Des affrontements ont eu lieu avec les Cathares : ainsi en 1208 à Laurac entre le lettré vaudois Bernard Prim et le diacre cathare Isarn de Castres ; ce Bernard Prim était l’auteur, de même que Durand de Huesca à la même époque, d’un traité «  contre les Manichéens ».
            Tout aussi différents du Catharisme apparaissent l’Arnoldisme, prêché au 12ème siècle par Arnaut de Brescia, avec ses « Pauvres de Lombardie », ses « Humiliés de Milan » et ses « Arnoldistes de Rome », et le Joachisme, prêché à la fin du 12ème siècle par un Cistercien calabrais : Joachim de Flore. La doctrine joachiste repose sur la prophétie des trois âges : l’âge du Père correspondant à la période de l’Ancien Testament ; l’âge du Fils correspondant à celle du Nouveau Testament, et l’âge de l’Esprit, période de grâce et de liberté, sorte d’âge d’or qui doit s’ouvrir. Cette doctrine complexe qui lie les « sept états de l’Eglise » à la rupture des sept sceaux dans l’Apocalypse de Jean, sera reprise aux 13ème et 14ème siècles par les « Franciscains Spirituels », dissidents de cet ordre, et par des laïcs : les « Béguines » ou « Béguins », qui connaîtront le bûcher à Marseille en 1318. Une certaine continuité semble lier au Joachisme le mouvement de Jean Hus, brûlé à Prague en 1415, et en quelque manière annonciateur de la Réforme.
Mouvements religieux orientaux proches du Catharisme ou pouvant lui être assimilés
            A la différence des religions précédentes, un certain nombre de mouvements religieux d’Asie Mineure et d’Europe orientale présente une grande unité avec le Catharisme, qui autorise à les en rapprocher, peut-être à les lui assimiler. Ils sont souvent à l’origine de noms qui sont synonymes de « Cathare ». Il suffit de les citer sans entrer dans les subtilités de leurs dogmes, tous voisins, en conservant pour l’ensemble le nom de Catharisme.
            Le Bogomilisme de Bulgarie est le plus ancien de ces mouvements et le point de départ probable de tous les autres. Vers 970, un prêtre nommé Cosmas nous dit dans son « slovo » ( discours ) : « Sous le règne du Bon Chrétien l’empereur ( byzantin ) Pierre ( qui a régné de 927 à 969 ), il y a eu un prêtre nommé Bogomil ( ami de Dieu ), qui pour la première fois a commencé à prêcher l’hérésie dans le pays de Bulgarie ». Plusieurs autres sources confirment l’existence de ce pope Bogomil ou « papas », terme signifiant simplement « officiant » et qu’on traduira plus tard de façon erronée par « pape ». Le mouvement s’est rapidement étendu à tout l’Empire Byzantin, exploitant les rivalités politiques qui s’y manifestaient, et il faut souligner son caractère subversif, populaire et révolutionnaire, donc générateur de répression. A la fin du 11ème siècle, sous l’empereur Alexis 1er, qui le démasque en feignant de s’intéresser à sa doctrine, un certain chef Basile, qui «  portait l’habit de moine et une barbe rare » et enseignait depuis plus de quarante ans, est jugé, condamné et périt sur le bûcher. Au milieu du 12ème siècle, l’évêque bogomile de Constantinople fera figure de patriarche. C’est lui qui participera à l’organisation du concile cathare de Saint Félix de Caraman en 1167. C’est du compte-rendu de ce concile qu’on apprend qu’il existait alors en Orient cinq Eglises émanant, à quelques nuances près, du bogomilisme : celles de Romanie ( Constantinople ), de Bulgarie ( autour de Preslav ), de Dragovitie ( Okhrida, Salonique ), de Mélinguie ( c’est-à-dire Péloponnèse ), et de Dalmatie.
            Très proches des Bogomiles sont les « Phoundaïtes » ou « Phoundagiagites » d’Asie Mineure, dont une Eglise est attestée au 11ème siècle à Philadelphie, en Phrygie.
            Tout comme les Cathares avec les Vaudois en Occident, les Bogomiles ont souvent été confondus en Orient avec les « Pauliciens », tenants d’une doctrine dualiste paraissant émaner directement du Manichéisme, originaires d’Arménie et de Syrie ; et avec les « Messaliens », qui ne reniaient pas l’Eglise officielle mais se distinguaient par un comportement monastique caricatural, « perdus dans la prière, constamment occupés à chasser les démons et à tenter de s’unir à leur ange gardien ». Du pays des Bogomiles, la Bulgarie, est dérivé le nom de « Bougres » donné aux cathares.
            Bien qu’appelés aussi Bogomiles par les Serbes, les Chrétiens de Bosnie sont à mettre un peu à part. Les Latins les ont appelés « Patarins », appellation elle aussi dévolue par la suite à tous les Cathares. L’origine de leur Eglise semble se situer à Split vers 1200 ; son essor rapide et son recrutement aristocratique s’opposant au caractère populaire habituel au Bogomilisme ont tenu à son choix comme église nationale par Kulin, roitelet de ce pays affirmant son indépendance vis-à-vis de l’Empire Byzantin ; église nationale, elle devait le rester pendant plus de deux siècles, jusqu’à la conquête turque. C’est du début du 15ème siècle que datent les « stecci », stèles funéraires des dignitaires de cette église, déjà évoquées. Malgré cette importance, elle n’a transmis aucun document, du fait de l’isolement de ce pays, tant par ses montagnes que par la convoitise de ses voisins.
            Bogomiles et Patarins ont été la cible de plusieurs croisades, menées avec zèle par des souverains locaux pour servir leur ambition de conquête de territoires voisins : ainsi celle confiée en 1232 par le pape Grégoire IX au roi de Hongrie pour racheter une excommunication, et dirigée contre la Bulgarie et la Bosnie ; elle ne connut qu’un succès éphémère, l’invasion tartare venant mettre tout le monde d’accord ; il y en eut une autre, en 1339, lancée par le pape Benoît XII, qui n’était autre que Jacques Fournier, celui même qui avait fait arrêter le dernier « parfait » du Languedoc ; cette croisade échoua, le souverain bosniaque de l’époque ayant résisté victorieusement ; tout se termina par un traité entraînant des concessions mutuelles, dont l’installation des Franciscains dans le pays. On a soutenu que les persécutions avaient eu pour effet la  conversion du pays à l’islam lors de la conquête turque ; il est plus probable que les Patarins plongèrent sous la surface de l’islam comme ils l’avaient fait tant de fois sous celle de l’orthodoxie, latine ou grecque.
Pour le reste de l’Orient, le Bogomilisme a buté en Serbie contre une Eglise officielle à prédominance monastique, étroitement liée à l’indépendance farouche du pays, et n’a pu s’implanter. On ne possède aucune trace certaine de la pénétration du Bogomilisme en Russie, pourtant nourrie de littérature religieuse « vieille bulgare ». On n’en trouve pas davantage en Pologne.
La filiation entre ces mouvements orientaux et le Catharisme occidental est apparue comme une hypothèse séduisante aussi longtemps qu’on a cru à leur antériorité. Celle-ci est actuellement remise en cause car on peut faire remonter le Catharisme jusqu’autour de l’an mille dans plusieurs régions d’Occident. Et on peut parfaitement admettre l’essor simultané de la conception dualiste dans des zones diverses et éloignées les unes des autres, avec des échanges entre elles, mais sans filiation chronologique.
 
 

Les Cathares d’occident

            C’est la connaissance des vagues successives de leurs persécutions qui a permis de suivre l’histoire des Cathares d’occident. Elle se trouve ainsi fragmentaire, tant sont rares les documents permettant de dater et de situer le Catharisme aux époques ou dans les régions où il ne fut pas poursuivi, qu’il soit clandestin ou toléré. A l’inverse, le nombre réel des « hérétiques » a pu être grossi dans les périodes de persécution.
            Les premières mentions d’un catharisme reconnaissable remontent, comme on l’a déjà dit, entre 1000 et 1030, et sont donc aussi anciennes qu’en Orient.
            Aussitôt réprimé, il fait parler de lui jusque vers 1050. Il disparait pratiquement de l’histoire jusqu’aux alentours de 1100, à l’époque qui correspond à la réforme grégorienne de L’Eglise romaine ( du pape        Grégoire VII ) et à l’épanouissement de la renaissance artistique qu’a représenté l’Art Roman. Le Catharisme, comme d’autres « hérésies », passe-t-il inaperçu parce que ses aspirations rejoignent en partie celles du clergé réformateur, le mot d’ « hérésie » étant réservé au clergé conservateur, simoniaque et concubinaire ? Ou connait-il une crise de recrutement, sa « clientèle » se trouvant satisfaite par le renouveau de l’église officielle ? On peut en débattre longuement.
            Au 12ème siècle on sait que les hérésies se multiplient au point de faire dire qu’il a été le « siècle d’or des hérésies », ceci pour des raisons obscures, peut-être simplement parce qu’après une période de relative tolérance, dont Abélard est un exemple, la rigueur de l’ordre de Citeaux, sous l’impulsion de St Bernard, s’érigeant en juge de l’orthodoxie, les fait mieux reconnaître.
            A une époque où, après la première tentative de réponse de l’Eglise aux problèmes nouveaux qu’a été la réforme grégorienne, les Ordres monastiques opulents restent isolés par la clôture des abbayes et la « langue de bois » du latin ecclésiastique, tandis que la misère et l’inculture demeurent le lot du bas clergé, on assiste à une sorte de concurrence, face aux aspirations de retour à l’idéal évangélique, entre des Ordres religieux nouveaux : les Cisterciens déjà évoqués ( 1098 ) ; l’ordre de Fontevrault de Robert d’Arbrissel ( 1101 ) ; plus tard les Frères Prêcheurs de Dominique de Guzman, les futurs Dominicains ou Jacobins (1215 ); les Frères Mineurs de François d’Assise, les futurs Franciscains ou Cordeliers ( 1209 ) ; et de redoutables prédicateurs itinérants s’écartant du dogme et des mœurs catholiques, prêchant par l’exemple autant que par le verbe, tels Pierre de Bruis, le moine Henri ou Arnaut de Brescia.
            La diffusion du catharisme est attestée par des surnoms populaires : Tisserands, Piphles, Publicains, Bonshommes. Au milieu du siècle, il intéresse « toutes les parties du royaume de France » et il est généralisé en Languedoc. C’est l’époque des grands colloques avec les clercs.
            Mais l’attitude des Cathares devient vite une attitude de défi. St Bernard écrit : « On ne les convainc ni par des raisonnements : ils ne les comprennent pas ; ni par les autorités : ils ne les reçoivent pas ; ni par la persuasion : car ils sont de mauvaise foi ; ils ont prouvé qu’ils aimaient mieux mourir que se convertir ». Même après la mort de St Bernard, l’ordre de Citeaux en tire toutes les conséquences : « Il semble qu’ils ne puissent être extirpés que par le glaive matériel ». On frémit.     
Et c’est en effet le déchaînement de la répression, à partir de 1180 environ, qui va atteindre son paroxysme avec la croisade dont le Languedoc aura le privilège sanglant, s’organiser avec l’Inquisition à partir de 1231, et se terminer avec la réduction de quelques réduits un temps tolérés, dont le plus illustre est Montségur.
 

Les premiers foyers du Catharisme occidental

            Les premiers foyers du Catharisme occidental sont signalés, sans signe précurseur apparent, et avec une simultanéité qui pousse à admettre leur corrélation en un mouvement unique, dans quatre régions : Toulouse et l’Aquitaine ; Orléans ; la Champagne, la Flandre et l’archevêché de Cologne ; l’Italie du nord.
            C’est en 1017 ou 1018 qu’on brûle pour la première fois à Toulouse des hérétiques « qui niaient le baptême, la croix et toute sainte doctrine….. avaient l’air de moines et feignaient la chasteté, mais entre eux se livraient à toute luxure ».
            A Orléans en 1022, à l’époque où cette ville était la capitale du roi   Robert II le Pieux et de sa femme Constance de Provence, ce sont des chanoines de Sainte Croix, abusés parait-il par un paysan portant sur lui « de la poudre d’enfants morts », qui sont convaincus d’hérésie et brûlés après avoir été dégradés et expulsés de l’église.
            En Champagne, à Vertus, vers l’an mille, c’est un homme du peuple nommé Leutard qui cherche à endoctriner la foule et, celle-ci ayant été ramenée à la foi catholique par le sage évêque de Reims Jébuin, se jette dans un puits et y périt. A Arras, c’est en 1029, au cours d’un synode, qu’on amène à l’évêque Gérard des hommes qui disent avoir été instruits par un certain Gondulfe, venu d’Italie ; ils professent une doctrine qui est certainement la doctrine cathare et, selon un premier texte, après un long discours de l’évêque, « donnent des signes de repentance » ; mais un autre texte dit qu’ils n’ont pu être amenés à avouer par aucun supplice ; on ignore ce qui est advenu d’eux. A Liège vers 1025-1026, c’est de l’anathème, de l’excommunication et de l’exil que sont punis des « violateurs des lois de l’Eglise ».
Enfin en Italie, c’est dans le château de Monforte, localité disparue du diocèse d’Asti, que la châtelaine abrite, en 1034, une garnison de nobles hérétiques.  L’évêque Héribert ayant fait investir le château, leur chef confesse longuement leur foi, se disant heureux de subir le martyre, et tous vont aux flammes avec joie, châtelaine comprise.
Dès ce moment-là, dans les confessions, on trouve trait pour trait toute la doctrine cathare ; sauf dans le cas de Leutard, on trouve aussi une hiérarchie ; dès ce moment-là aussi, bien sûr, s’allument les bûchers.
Ce qui n’empêche pas la diffusion de l’hérésie puisqu’un concile réuni à Reims en 1049 reconnait que « l’hérésie pullule en Gaule ». On ne suit guère les conseils de l’évêque de Liège Wason qui déconseille la sévérité et prône seulement l’excommunication, cherchant à réfréner ce qu’il appelle la « rage précipitée des Français, qui aspire au meurtre », rage qui probablement a entraîné, en se fiant à des apparences trompeuses, à tuer par erreur un certain nombre de Catholiques.
Quelques évêques prennent prétexte de l’hérésie pour se livrer à des exécutions sommaires d’habitants contestant leur pouvoir temporel, au point d’être désavoués par leur hiérarchie. Ainsi en est-il de l’évêque de Cambrai, sur qui le pape Grégoire VII jette l’interdit en 1076.
Une relative tolérance semble toutefois s’être fait jour dans la seconde moitié du 11ème siècle, où les Cisterciens, au cours de polémiques violentes avec les Cathares, ne renoncent pas à les convaincre de rentrer dans le droit chemin. C’est au point que d’importants prédicateurs cathares, qui parcouraient l’Europe, traversent affrontements et abjurations forcées et échappent finalement au bûcher : ainsi Bérenger de Tours, Pierre de Bruis, et le moine Henri, ancien bénédictin, qui sont confrontés à St Bernard, mais aussi avec l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable, qui à l’inverse du précédent, a marqué l’époque par sa sagesse et sa tolérance.
Au 12ème et au 13ème siècle, les évènements liés au Catharisme ont été, par rapport à ceux du Languedoc, soit contemporains, soit postérieurs.

Le Catharisme en Italie

            Le Catharisme italien occupe une position centrale. Il nous est connu par un ouvrage appelé la « Somme » de Moneda et par deux récits apportant des données sûres malgré un aspect plus ou moins légendaire : le « De heresi catharorum in Lombardia » antérieur à 1214, et le « De hereticis » daté de 1270-1275. Le Catharisme italien s’insère dans un contexte de religiosité dissidente : « Patarins » du sous-prolétariat urbain lombard, « Arnoldistes » de Rome, « Humiliés » de Milan, « Pauvres Lombards » proches des Vaudois.
Le Catharisme italien est complexe d’abord parce qu’il s’y est produit un schisme. C’est un certain Marc, de Concorezzo, près de Milan, qui fonda, probablement aux alentours de 1200, la première Eglise d’Italie. Etait-il d’obédience bulgare ou avait-il été converti par un « parfait » venu du Languedoc ? Les deux thèses s’affrontent. La confluence des influences orientale et languedocienne est en tous cas certaine.
Le schisme semble dater de sa succession et avoir porté au début sur des questions de personnes.
La doctrine originelle, ce que les traités catholiques appellent le parti A, est celle des Albanistes, disciples d’Albano, ou « Albanenses » ou Albigeois, c’est-à-dire des Languedociens. On voit que le terme d’Albigeois, qui a prévalu dans nos « histoires de France » est plus restrictif que celui de Cathares. Ce sont les tenants du dualisme absolu tel qu’on l’a décrit.
L’école de Concorezzo, ou parti C, ou des « Garatenses », s’en écarte en adoptant un dualisme mitigé, selon lequel le Diable a seulement organisé le monde à partir d’éléments créés par le Père céleste. Originaire du Milanais, elle étend son emprise à toute la Lombardie. De l’Eglise de Concorezzo ( avec ses diaconats d’Alexandrie, Plaisance et Crémone ) s’en détachent trois autres : celle de Desenzano, autour du lac de Garde ( avec des diaconats à Bergame et Vérone ) sous la houlette d’un nommé Jean le Beau ; celle de Mantoue et Bologne sous la houlette d’un nommé Caloïan ; enfin celle de Vicence et de la marche de Trévise sous la houlette d’un certain Nicolas. Les Patarins de Florence semblent se rattacher à cette dernière, ainsi que l’Eglise du Val de Spolète.
A côté des Albigeois et des cathares de Concorezzo s’individualise une troisième école, celle de Bagnolo, née à Mantoue, qui porte le nom de son fondateur. Ces Cathares de Bagnolo, ou « Baïolenses », ou parti B, adoptent un dualisme mitigé qui ne se distingue que par des nuances de celui de Concorezzo ; on les surnomme parfois « slaves » bien que l’influence de la Bulgarie et de la « Slavonie » ait été commune à tous les Cathares italiens.
Ces trois tendances se superposent et s’affrontent souvent dans les mêmes régions, au point que beaucoup de villes comptent un évêque ou un diacre de chacune d’elles.
Second facteur de complexité, les Cathares se mêlent à d’innombrables sectes qui fleurissent à la même époque, dont celle des Vaudois, se confondent parfois avec elles et s’intriquent même avec divers Ordres religieux mendiants associant des pratiques « hérétiques » avec une « sainteté » plus classique.
Troisième facteur de complexité : un facteur politique : les Cathares se rangent dans le parti « Gibelin », traditionnellement soutenu par l’Empereur, en lutte avec le parti « Guelfe » lié au pape. On voit l’empereur Frédéric II s’opposer à l’Inquisition, créée par Grégoire IX, qu’il estime dirigée contre lui. Ce qui ne l’empêche pas de se livrer lui aussi à des actes répressifs cruels lorsqu’il y va de son intérêt.
Les Cathares appuient souvent des bourgeois révoltés contre les évêques. Ils se réfugient souvent aussi dans les châteaux où les seigneurs les protègent.
Si l’on n’assiste pas à une véritable croisade, il y a des combats incessants impliquant des Cathares, tandis qu’abondent aussi les controverses écrites.
Après une période d’essor de l’hérésie jusque vers 1220, où se distinguent de grands personnages comme l’évêque Nazaire, de Concorezzo, et son fils majeur Didier, ou son rival l’évêque Belesmanza, de Desenzano, et son fils majeur Jean de Lugio, de Bergame, ou encore l’évêque de la Marche de Trévise Pietro Gallo, les bûchers s’allument après une véritable contre-offensive pontificale, en 1232-1233, inaugurée par la création de l’Inquisition. En 1252, l’Inquisiteur Pierre de Vérone est assassiné : 60 « hérétiques » sont brûlés; il y en aura 200 autres à Vérone en 1278 ;  d’autres bûchers sont mentionnés à Vicence, à Rome au retour de Grégoire IX qui en avait été chassé par un soulèvement, à Plaisance, après une véritable émeute. Il y a de nombreuses condamnations posthumes avec exhumation. Il y a aussi un certain nombre de défections.
C’est en Toscane que la résistance des Cathares est la plus dure, là aussi qu’ils affrontent le plus volontiers le bûcher, à l’exemple d’Andrea et de son compagnon Albano à Prato en 1245. Leur force est liée aux succès militaires des Gibelins. La revanche guelfe ne s’y assouvit que plus violemment et on trouve des bûchers ou des condamnations au fouet jusqu’en 1321.
D’une manière générale, les Cathares d’Italie, ayant fui les villes pour se disperser dans les campagnes, se cacher dans les châteaux, se maintiendront très longtemps, la Lombardie accueillant de nombreux Cathares réfugiés, en particulier du Languedoc.
Le Catharisme en Champagne
            En Champagne, où le Catharisme a été aussi précoce qu’en Languedoc ou en Italie, et où on appelle les Cathares « Bougres » ou « Publicains », deux paysans hérétiques sont brûlés en 1114 dans le Soissonnais ; deux conciles à Reims, en 1148 et 1157, animés par les Cisterciens, sont consacrés à sa répression.
            . A Reims aussi, en 1180, une jeune bergère, démasquée par sa résistance aux avances d’un jeune clerc, Gervais de Tilbury, et par sa confession «  pleine d’aisance » de la foi cathare, est brûlée à son tour ; ce martyre n’est pas sans rappeler celui de plusieurs saintes du temps des premiers Chrétiens . Bûchers encore à Troyes en 1200, à Braine en 1204, à Châlons en 1234.
Mais le dénouement de la tragédie va avoir pour cadre le lieu auréolé de mystère qui a été le centre du rayonnement du catharisme dans la région : le Mont Aimé, ou Mont Wimer, entre Epernay et Vertus, butte détachée de la Côte champenoise au-dessus de la plaine, formant un oppidum naturel imprenable, qu’une légende tardive a voulu faire hanter par le Manichéen Fortunat, l’adversaire de St Augustin au 5ème siècle. La comtesse régente de Champagne, Blanche de Navarre, y avait fait construire un château dont il ne reste que quelques ruines. On ne peut expliquer le long maintien de l’hérésie en un lieu aussi notoire que par le soutien massif de la population, qui explique aussi que les premières persécutions aient eu lieu à proximité de ce noyau dur. C’est dans une bourgade de la plaine avoisinante, peut-être Morains-le-Petit, que se trouvait le siège de l’Eglise cathare de France.
En 1239, Robert le Bougre, ancien « parfait » revenu au catholicisme et entré chez les Dominicains, envoyé par le pape pour y être le pionnier de l’Inquisition, choisit le mont symbolique pour l’« holocauste agréable au Seigneur » où périssent, le 13 mai 1239, 183 « Bougres », devant « une grande réunion de prélats ». Le rapprochement avec ce qui se passera cinq ans plus tard à Montségur est saisissant. Cet épisode semble avoir sonné le glas de l’Eglise cathare de France.
Le Catharisme en Flandre et dans les provinces septentrionales
            C’est de Champagne que le Catharisme s’est répandu dans le nord de l’Europe.
            En Flandre, où les Cathares sont appelés « Piphles » ou « Catiers », on voit dès 1110 un prédicateur auréolé d’un grand prestige, Tanchelm, établir une espèce de pouvoir populaire contre la hiérarchie ecclésiastique, avant de mourir assassiné par un prêtre. Etait-ce vraiment un Cathare ?
            Un amalgame est souvent fait dans ces régions avec les usuriers, la sorcellerie ou certaines confréries, comme celle du forgeron Manassès, associé à Tanchelm, que le pouvoir cherche à éliminer. L’existence du Catharisme n’en est pas moins certaine. Les offensives pontificales sous la forme de légations habituellement cisterciennes se multiplient. Les controverses aboutissent à des condamnations à Arras, Ypres, Cambrai, mais on rapporte souvent que leurs aveux ont permis à beaucoup d’hérétiques de résister à l’épreuve du feu et d’avoir ainsi la vie sauve !
En 1235-1236 toutefois, la phase héroïque de l’Inquisition se manifeste en la personne de Robert le Bougre venu de Champagne, auquel le Roi de France fournit des hommes. On brûle au cours de ces deux années une cinquantaine de « Piphles », à Péronne, Cambrai, Douai, Lille. Le Catharisme semble ensuite disparaître comme en Champagne.
Le Catharisme en Bourgogne
            En Bourgogne, le premier bûcher date du 10 avril 1167, au Val d’Ecouan, près de Vézelay, à la suite d’un jugement rendu par les évêques de Laon et Nevers et l’abbé de Vézelay.
            A Nevers, trois chanoines du chapitre cathédral sont contaminés : Bernard, le doyen, condamné à une « purgation canonique », Raynald ou Renaud, qui finira enfermé dans un monastère, et Guillaume, qui se réfugie en Languedoc auprès du seigneur de Servian, prend le nom de Thierry, sous lequel il est probablement l’auteur d’un traité de polémique cathare ; ce Guillaume est probablement celui considéré par les Cisterciens comme « le pape des Albigeois ».
            La Charité-sur-Loire, siège comme Vézelay d’une grande abbaye, est aussi un foyer de Catharisme. On y voit faire preuve d’un grand scrupule juridique. Ainsi en 1221 l’archevêque de Sens Pierre de Corbeil suggère à l’évêque d’Auxerre, dont dépend la Charité, la clémence pour ceux qui ont avoué leur adhésion à l’hérésie, au prix il est vrai d’une « abjuration publique suivie d’une pénitence convenable à la condition, au sexe, à l’âge et au discernement des personnes ».
C’est néanmoins par la Bourgogne que Grégoire IX a inauguré ses délégations aux Dominicains, origine de l’Inquisition, et que Robert-le-Bougre a commencé à sévir dès 1227, avant même d’écumer la Champagne et la Flandre.
 
 

Le Catharisme dans l’Empire Germanique  et en Angleterre

            Le premier bûcher dans l’aire germanique date de 1112 à Ivoy                    ( aujourd’hui Carignan ) où un prêtre, sauvé par l’abjuration, est néanmoins tué pour avoir été pris en flagrant délit de l’adultère dans lequel il cherchait peut-être à oublier ses émotions. D’autres bûchers sont allumés à Liège en 1135, à Cologne en 1143, à Bonn, Mayence, Besançon en 1163, Strasbourg en 1211.
            A partir de 1227, un prédicateur fanatique, Conrad de Marburg, à qui Grégoire IX a confié la mission de « poursuite des hérétiques », se livre dans toute l’Allemagne à une persécution brutale et sommaire de nombreux notables arrêtés sur des délations dérisoires ; il est finalement assassiné en 1233.
            En Angleterre, le Catharisme, introduit en 1165 par des Allemands infiltrés, n’a pas trouvé d’écho dans la population. Un « Albigeois » est cependant brûlé à Londres en 1210.
Le Catharisme en Espagne
            En Espagne, le Catharisme est tardif. Ses manifestations connues ne remontent pas au-delà du début du 12ème siècle.
            Dans le Leon, où la corruption de l’Eglise semble profonde, où l’on déplore non seulement l’incontinence des prêtres mais une ignorance de nombre de prescriptions canoniques, les Cathares cherchent à s’imposer par la discussion ; ils n’hésitent pas à ruser, se déguisant en prêtres ou en moines, voire en Juifs ; allant jusqu’à feindre d’être Catholiques pour porter avec éloquence la contradiction au Catharisme, puis habilement s’avouer vaincus. Ils tournent aussi le culte en dérision en multipliant les facéties. Malgré l’action de quelques ecclésiastiques endoctrinés par Grégoire IX, la tolérance l’emporte et on ne connait guère de bûchers, pas plus qu’en Galice.
            Même tolérance au début en Castille, Aragon et Catalogne, où le catharisme s’implante de deux manières : l’arrivée de nombreux réfugiés du Languedoc fuyant la croisade, et les nombreuses alliances entre familles nobles languedociennes et catalanes ; ainsi du mariage du futur Comte de Foix, Bernard II, fils et neveu de deux « parfaites », la comtesse Philippa et la célèbre Esclarmonde, avec Ermessinde, fille d’Arnaud, vicomte de Castellbo.
            Les autorités couvrent les Cathares, beaucoup plus par solidarité méridionale que par idéologie. La Catalogne est un diaconat de l’Eglise de Toulouse, depuis le concile de Pieusse de 1226. Bien des Cathares viennent se faire consoler et mourir à Castellbo. Le Catharisme fait tache d’huile lors des succès remportés un temps par les Occitans sur les Croisés.
Mais l’Inquisition sévit après la contre-offensive finale des Croisés. Encore les bûchers ne s’allument-ils souvent que pour des ossements, dont ceux d’Ermessinde et de son père Arnaud de Castellbo. Bernard d’Alion, titulaire d’une mosaïque de seigneuries de part et d’autre de la frontière,  d’abord rallié à la croisade, puis revenu au Catharisme en épousant la célèbre Esclarmonde de Foix, sœur du comte Roger-Bernard II, sera cependant brûlé à Perpignan en 1258.
Mais c’est dans le réduit de Fenouillèdes, en terre catalane, que se maintiendront les derniers ilots de la résistance cathare.
 

LE CATHARISME EN LANGUEDOC

Cette allusion à l’épisode final du drame cathare nous amène à l’histoire du Catharisme en Languedoc, à situer dans l’ensemble de l’histoire de ce pays, et plus largement de l’Occitanie.
 
Le Languedoc avant les Cathares
            Etendu des Cévennes à Toulouse, placé entre la Provence et la Gascogne « pour les empêcher de bavarder », le Languedoc s’est très tôt individualisé par rapport à ces deux voisines par une histoire distincte, liée par contre à celle de la Catalogne. Si l’on considère une unité linguistique, il faut lui rattacher l’Agenais et le Quercy, avec lesquels il constitue l’Occitanie.
Passons sur la préhistoire dont les vestiges abondent, spécialement en Rouergue.
La côte voit s’établir à partir du 8ème siècle avant Jésus-Christ des comptoirs phéniciens, et à partir du 6ème des comptoirs phocéens, c’est-à-dire grecs, émanant de Marseille. Du 6ème au 3ème siècle, le Languedoc est habité par les Ligures, qui nous ont laissé les oppidums de Murviel, Nages et Ensérune, tandis que la Catalogne voisine est habitée par les Ibères, avec leurs proches établissements de Ruscino ( près de Perpignan ) et Illibéris ( Elne ).
Tandis que la vallée du Rhône est la voie de l’ambre et de l’étain, le Languedoc est traversé par la grande voie est-ouest du bronze, qui gagne l’Aquitaine par le seuil de Naurouze, avec bifurcation vers la Catalogne et l’Espagne par la voie du Perthus.
Les Celtes occupent le pays à partir du 3ème siècle avant Jésus-Christ. Ce sont entre autres les Volsques arécomiques dans le Languedoc littoral, les Volsques tectosages dans le haut Languedoc toulousain et albigeois.
En 218, ils couvrent d’une neutralité méfiante le passage d’Hannibal en route vers les Alpes et l’Italie.
La conquête romaine, déclenchée par l’appel des Marseillais aux prises avec les Ligures de Provence, atteint Nîmes en 120, Narbonne en 118, Toulouse en 106. Le Languedoc et la partie de la Catalogne d’en-deçà des Pyrénées forment avec la Provence ( qui en tirera son nom ) la « Province Romaine ». La voie du bronze devient la « Voie Domitienne », de l’Italie à l’Espagne, tandis que le passage des Cévennes vers le nord, inauguré dans l’hiver 52 par César en route pour la conquête des Gaules, devient la « Voie Regordane ».
A partir du 1er siècle de notre ère, sous Auguste, la Province Romaine, ou Narbonnaise, est subdivisée : à l’ouest du Rhône, Languedoc et Catalogne cispyrénéenne forment la Narbonnaise Première, avec pour ville principale Narbonne ( tandis que les terres à l’est du Rhône se répartissent entre la Viennoise avec pour capitale Arles, la Narbonnaise Seconde avec pour capitale Aix, et les « Alpes Maritimes » avec pour capitale Embrun ).
La civilisation romaine connait son apogée au 2ème siècle, plus encore à Nîmes qu’à Narbonne.
Plus tardif qu’en Provence, le Christianisme s’implante seulement au 4ème siècle. Le génie languedocien demeurera plus romain que chrétien. Le latin vulgaire amorce sa transformation vers la future langue d’oc.
La vigne se développe au point de concurrencer bientôt les vins italiens, rivalité qui n’a pas fini de faire parler d’elle.
Arrivent les grandes invasions.
Les Wisigoths, établis en Aquitaine au début du 5ème siècle avec le consentement de l’empereur Honorius, constituent un royaume à cheval sur les Pyrénées, bientôt étendu de la Loire à Gibraltar, avec pour capitale Toulouse, qui englobe le Languedoc. Plus policés que d’autres « barbares », ils vont marquer profondément le pays. On peut comparer avec l’empreinte des Burgondes en pays rhodanien.
En 507, à la suite de sa victoire de Vouillé ( en Poitou ), Clovis et ses Francs les chassent du sud-ouest de la France actuelle, où ils les cantonnent  dans le Languedoc littoral et la Catalogne cispyrénéenne, qui forment la Septimanie ou Gothie.
La fusion de l’apport wisigothique avec la civilisation gallo-romaine, cimentée par la langue d’oc, amorce l’originalité du Languedoc, soustrait à l’influence franque.
Implantés plus qu’ailleurs, les Musulmans, les « Sarrasins », vont à leur tour laisser leur marque. C’est de Narbonne que part, en 719, l’équipée que Charles Martel arrêtera en 732 à Poitiers. Les « Sarrasins » conserveront cependant la Septimanie jusqu’en 760, date de leur expulsion par Pépin le Bref.
            Déjà en marge des différents royaumes mérovingiens, la Septimanie et la Catalogne vont rester une « marche » de l’Empire de Charlemagne, même si celui-ci y implante « autant de monastères qu’il y a de lettres à l’alphabet », tandis que Toulouse est capitale de l’Aquitaine au sein de l’Empire.
            Après le partage de l’Empire par le traité de Verdun en 843, qui place le Languedoc dans le Royaume de Charles le Chauve, on voit le Comté de Toulouse, démembré du Duché d’Aquitaine et devenu héréditaire, s’affranchir de plus en plus de la suzeraineté du Roi,  capétien à partir de 987.
            La Provence, elle, a été englobée dans la Lotharingie. Après l’intermède du Royaume de Bourgogne et Provence de Boson ( 873-887 ), et une courte implantation des Sarrasins, chassés en 972 par Guillaume le Libérateur, Comte d’Arles, elle passe en 1032 dans le giron du Saint Empire Germanique nouvellement constitué ( en 962 ). Le Comté d’Arles ou de Provence acquiert en son sein une certaine autonomie sous l’autorité commune des descendants de Guillaume le Libérateur et de son frère Roubaud.
            En 1040, Guillaume Taillefer, Comte de Toulouse, épouse Emma, fille de Roubaud. De son côté, Raymond Bérenger III, Comte de Barcelone, épouse en 1112 Douce, arrière-petite-fille du Libérateur. Cette double alliance est à l’origine de la rivalité des maisons de Toulouse et de Barcelone pour la possession de la Provence. En 1125, un traité attribue la Provence « historique », au sud de la Durance, au Comte de Barcelone Raymond-Bérenger IV qui, en 1137, deviendra aussi Roi d’Aragon par son mariage avec Pétronille, héritière de ce Royaume. Mais le Marquisat de Provence, au nord de la Durance ( l’actuel département de Vaucluse ), est attribué au Comte de Toulouse, Avignon restant toutefois indivis.
            Désormais il n’y aura plus guère de contacts entre le Languedoc et la Provence, où l’on peut noter que le Catharisme ne s’implantera pratiquement pas. Les liens seront par contre étroits entre le Languedoc et la Catalogne aragonaise, de part et d’autre de la frontière des Corbières, que le Catharisme, nous l’avons vu, franchira facilement.
            Aux 11ème et 12ème siècles, période où va fleurir le Catharisme, le Comté de Toulouse ne cesse d’accroître sa puissance, son indépendance et son domaine territorial, régnant sur de nombreux fiefs vassaux qui lui sont tout dévoués, Raymond V par les armes, Raymond VI, qui lui succède en 1195, par cinq mariages successifs ( il épouse en effet successivement Ermesinde de Pelet, héritière du Comté de Melgueil ; Béatrix Trencavel, héritière de l’importante Vicomté de Carcassonne, Béziers et Albi, qui lui donne une fille, Constance, à laquelle il ajoute deux enfants naturels, Guillemette et Bertrand ; Bourguigne de Lusignan, sœur de Richard Cœur de Lion, qui lui donne en 1197 son héritier Raymond ; enfin Eléonore, sœur du roi Pierre II d’Aragon ).
            Au début du 13ème siècle, le pays de Raymond VI est plus vaste et plus peuplé que bien des royaumes. Son domaine propre dépend de quatre suzerains, ce qui ne veut pas dire souverains : le roi de France Philippe II Auguste pour la région toulousaine et albigeoise, soit le Comté proprement dit, la Vicomté de Lodève, le Comté de Melgueil ; le roi d’Angleterre Jean sans Terre pour le Rouergue, le Quercy et l’Agenais ; le roi d’Aragon Pierre II, qui règne directement sur Montpellier, pour les Vicomtés de Millau et de Grèze et le Comté de Gévaudan ; enfin l’Empereur, Philippe de Souabe puis Othon IV, pour le Marquisat de Provence. Son pouvoir s’exerce aussi sur les terres de ses nombreux vassaux : la vaste Vicomté de Carcassonne, Limoux, Béziers et Albi, aux mains de son neveu Raymond-Roger Trencavel, les Vicomtés de Narbonne et d’Agde, les Comtés de Rodez, de Vivarais, de Diois et de Valentinois, les seigneuries d’Anduze, d’Alès et de Sauve. Le Comte de Foix Raymond-Roger, dont le fief a été légué en 1002 à son ancêtre Roger-Bernard par le Comte de Carcassonne Roger 1er le Vieux ( Comté à l’origine, Carcassonne est devenu Vicomté par la suite ! ), n’est le vassal de Raymond VI que pour la basse vallée de l’Ariège avec Pamiers et Mirepoix, de même que le Comte de Comminges pour la plaine de Muret. Le tout couvre sensiblement les actuelles régions Languedoc-Roussillon, sauf la Catalogne d’en-deçà des Pyrénées, et Midi-Pyrénées, sans compter les terres de la rive gauche du Rhône   
Dans ce vaste pays, uni par sa langue et sa culture occitanes, règne une prospérité économique qui a de quoi exciter l’envie des voisins du nord, basée notamment sur la vigne, de riches cultures céréalières, l’industrie de la laine et le commerce avec l’ensemble du monde méditerranéen, et une civilisation très en avance sur son temps, ouverte sur ses voisines, notamment, malgré la reconquête amorcée de l’Espagne, sur la civilisation musulmane alors à son apogée en Andalousie, bénéficiant d’une paix relative rare à cette époque. L’Art Roman affiche les influences lombarde et catalane.
            Cette civilisation occitane est marquée par la joie de vivre et même par une certaine insouciance, une large tolérance vis-à-vis de toutes les idées. Les rapports entre les seigneurs et leurs sujets sont harmonieux, faits de confiance et fidélité mutuelles, dans un bien-être commun. Les libertés sont assez larges, y compris la liberté des mœurs.
            Les troubadours, partout accueillis et choyés, exaltent dans leurs chansons et leurs poèmes l’âme et la langue de ce peuple heureux. Ce qu’on appelle l’amour courtois, la « Fine amour », connait un épanouissement qui n’a d’égal qu’en Italie et en Champagne, où l’on voit aussi le Catharisme coïncider avec lui. Cette érotique très particulière fait à la femme une place privilégiée et idéalisée. En se codifiant et s’affirmant, elle va dans le sens d’une pureté croissante, jusqu’à la formule célèbre de Montanhagol : « D’amor mou castitatz », c’est-à-dire « D’amour procède chasteté », qui annonce l’idéal cathare.
            Le Catharisme va trouver en effet dans cette société un milieu éminemment favorable. On verra les Cathares, souvent troubadours, faire la cour aux châtelaines, en cherchant à la fois à les séduire et à les convertir. Et, bien plus tard, une certaine nostalgie confondra le souvenir des mœurs courtoises avec celui de la religion condamnée.
            A la dénonciation des vices des « hérétiques » par les bien-pensants l’esprit occitan , éloigné du dramatique et du sacré, dans ce pays fait davantage pour l’amour que pour la guerre, a opposé d’abord une indifférence teintée d’ironie.
 
Le Catharisme en Languedoc
            On peut subdiviser le déroulement des évènements liés au catharisme occitan en quatre périodes : l’essor, jusqu’en 1208 ; la première vague de la croisade de 1208 à 1218 ; la contre-offensive et la reconquête de 1218 à 1226 ; enfin la seconde vague de la croisade et le dénouement de 1226 à 1271.
L’essor
            La première mention du Catharisme en Languedoc remonte à 1018. C’est plus de cent ans plus tard, en 1119, que le pape Calixte II, dans un concile tenu à Toulouse, dénonce pour la première fois les hérétiques, c’est-à-dire les Cathares, mettant fin à la confusion qui avait parfois fait attribuer ce qualificatif au clergé simoniaque ou débauché par les tenants de la réforme grégorienne. Celle-ci n’avait au demeurant guère pénétré dans le pays, resté fidèle à ses vieilles fondations bénédictines, à peine touchées par l’influence de Cluny, tandis que les fondations cisterciennes ne dépassaient pas le Bas Languedoc.
            Le Catharisme s’épanouit au 12ème siècle, tirant probablement parti des mœurs dissolues du clergé. Celles-ci sont à l’origine d’actions violentes étrangères au Catharisme, malgré l’amalgame qu’on en a fait. Ainsi le prêtre dauphinois Pierre de Bruis, qui profanait les églises, renversait les autels, mais prêchait le mariage des moines et se vantait de rebaptiser, n’est pas un Cathare, contrairement à ce que croyait Pierre le Vénérable. Il était plutôt un précurseur des Vaudois, qui ne devaient jamais s’implanter à l’ouest du Rhône, pas plus que les Cathares à l’est.
Parmi les vrais zélateurs du Catharisme figure le moine Henri, bénédictin qui avait quitté son couvent vers 1110 pour prêcher sur les routes et qui, après le Mans et Bordeaux, arrive en Languedoc pour accomplir une longue carrière méridionale, malgré sa condamnation par le concile de Pise en 1135, auquel assistaient Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, et le Cistercien St Bernard, abbé de Clairvaux. Il devient la bête noire de St Bernard qui, à l’idée qu’il prêche librement à Toulouse, en perd le sommeil.
             C’est l’époque où les papes multiplient les missions ou envois de légats pour tenter, d’abord par le prêche et la persuasion, puis par la menace et l’excommunication, d’endiguer l’hérésie qui, en certaines régions, s’est pratiquement substituée à l’Eglise officielle. Ainsi en 1145 St Bernard, flanqué de l’évêque de Chartres, accompagne-t-il le légat Albert dans une vaste tournée qui commence à Bordeaux et se termine à Albi, en passant par Toulouse et les principaux centres du Quercy et du Haut Languedoc. Il est parfois reçu avec dévotion, mais souvent chahuté comme à Verfeil, où les chevaliers couvrent sa harangue par un vacarme infernal en frappant sur les portes, ou boudé comme à Albi où sa grande messe solennelle ne rassemble que trente personnes.
            C’est aussi l’époque des conciles. Celui que préside le pape Alexandre III en 1162 à Montpellier est lourd de menaces. Ne rappelle-t-il pas la condamnation portée au concile de Latran de 1139 contre « les seigneurs temporels refusant d’exercer leur pouvoir contre ceux que leur désigne l’Eglise » ?
            A Lombers, en 1165, où un certain Olivier s’oppose à un aréopage de prélats, il s’agit plutôt d’un colloque, comme on en trouve beaucoup d’autres exemples entre Cathares et Catholiques : ainsi à Fanjeaux et à Foix. Toutes ces confrontations encore pacifiques restent sans effet.
            Bénéficiant de la protection officieuse du Comte de Toulouse      Raymond V,  qui entend garantir à tous ses sujets le libre exercice de leur culte, le Catharisme gagne toutes les couches sociales.
            La zone où la prépondérance du catharisme est la plus nette va de l’Albigeois et de la Montagne Noire au nord au Pays de Foix et aux Corbières au sud, centrée par Carcassonne. C’est dans cette zone centrale que se circonscriront les épisodes les plus dramatiques et que se trouvent les plus nombreux souvenirs du Catharisme, et toutes les fameuses forteresses rendues célèbres à cause des Cathares. Les vestiges du Catharisme sont beaucoup plus rares à Toulouse ou à Albi. A l’ouest l’influence cathare est importante en Quercy et Agenais, mais faible dans la plaine en aval de Foix, et nulle en Gascogne. A l’est, elle n’atteint pas le littoral.
            Si inquiets qu’aient été les prélats catholiques, ils ne semblent pas avoir mesuré l’importance du mouvement telle qu’elle apparait lorsque se tient en 1167 à St Félix de Caraman ( aujourd’hui St Félix-Lauragais ) un grand concile cathare où trois grands personnages sont venus de très loin : Nicétas, de Constantinople, pape, Père ou patriarche, on ne sait, de l’Eglise cathare d’Orient ; l’évêque de « France » ( c’est-à-dire de France du nord ) ; et le chef de la jeune communauté de Lombardie. Devant la multiplication des effectifs, Sicard Cellerier, évêque de l’Eglise dite d’Albi, ne peut plus diriger à lui seul la communauté occitane ; le concile va ériger en évêchés plusieurs Eglises locales importantes comportant chacune de nombreux diaconats ; on comptera ainsi six évêchés, dont les titulaires résideront souvent, en période de menace, dans une localité périphérique : celui d’Albi ou de Lombers, celui de Toulouse ou de St Paul-Cap de Joux, celui de Carcassonne ou de Cabaret ou Aragon, celui de Servian ( près de Béziers ), celui d’Agen et celui de Montségur.
            Les légations continuent de se succéder. En 1178, le Comte de Toulouse Raymond V manque de peu d’attirer la croisade ; il a choisi le mauvais pape dans le schisme qui opposait Alexandre III à Pascal ; puis il a poussé un de ses protégés à disputer à Ermengarde son héritage de la Vicomté de Narbonne ; celle-ci appelle à l’aide le Roi de France Louis VII, appuyée par l’archevêque, qui propose au Roi un second prétexte à une intervention armée : l’hérésie ; de son côté Raymond V fait hommage au Roi d’Angleterre. Dans le même temps, Roger II Trencavel, Vicomte de Carcassonne, Béziers et Albi, retient prisonnier à Albi l’évêque catholique du lieu et le fait garder par son sénéchal Guilhem Peire de Brens, Cathare notoire. Finalement Alexandre III envoie un conciliateur chargé de faire la paix entre les deux Rois. Raymond V est convaincu, probablement par un Cistercien qui lui tient la main, d’écrire une lettre réclamant une intervention contre les hérétiques. Et c’est une mission paritaire de Cisterciens, deux anglais et deux français, qui est dépêchée à Toulouse ; elle dresse des listes d’hérétiques et les met en accusation : après celle de nombreux croyants, dont le riche Pierre Maurand, elle obtient l’abjuration de l’évêque cathare de Toulouse Bernard Raymond et de son fils majeur Raymond de Baimiac, décapitant l’Eglise de Toulouse. C’est le successeur de Bernard Raymond, Gaucelm, qui transférera le siège de l’évêché à St Paul-Cap de Joux. Il semble que cette abjuration ait été le fruit d’une négociation, avec en compensation une retraite honorable. On en connait d’autres exemples, qui montrent que l’Eglise composait souvent avec les Cathares, jusqu’à les réintégrer dans des charges ecclésiastiques officielles. Il y a presque une équivalence alors entre les deux religions, au moins tacite.
            La rigueur des dénonciations du second concile de Latran de 1179, qui coïncide à la fois avec l’apogée de la carrière d’Alexandre III et avec celle de l’abbaye de Citeaux, est ainsi bien diluée sur le terrain.
            La mission du légat Henri de Marcy en 1180 aboutit aussi à des résultats conciliants, malgré une escarmouche à Lavaur où un homme de sa suite trouve la mort.
             Rien n’empêche un nombre croissant de représentants des plus nobles familles de recevoir le Consolamentum : Guilhabert de Castres, qui succédera à Gaucelm dans l’évêché de Toulouse, Benoît de Termes, Pierre Isar, Bernard de Simorre, et la célèbre Esclarmonde, sœur du Comte de Foix Raymond-Roger, consolée en 1204 à Fanjeaux avec plusieurs autres grandes dames. La protection du nouveau Comte de Toulouse Raymond VI devient officielle.
            Les années 1206 et 1207 vont s’avérer lourdes de conséquences pour l’avenir. Depuis plusieurs années, le légat du nouveau pape Innocent III, Pierre de Castelnau, et son collègue Raoul, Cisterciens de Fontfroide, ne cessent de s’attaquer à Raymond VI, à ses prétentions sur les terres des évêques ou des abbés, et naturellement à son soutien à l’hérésie.
            En 1206, Diègue, évêque d’Osma, en Vieille Castille, et le sous-prieur de son chapitre, un certain Dominique de Guzman, de retour d’un séjour à Rome auprès du pape, rencontrent à Montpellier les deux légats, découragés de leur impuissance à combattre l’hérésie. Les deux Castillans leur reprochent le faste de leur suite et leur conseillent de prêcher à pied, deux par deux, « comme les apôtres » ( et comme les « parfaits » cathares ! ).
            Un premier colloque opposant ces quatre hommes aux Cathares, à Servian, n’a d’autre résultat qu’un échange final injurieux. L’attitude agressive de Pierre de Castelnau fait pressentir le pire à Diègue et Dominique, qui s’en séparent pour prêcher seuls à Béziers, puis Carcassonne, puis Verfeil. Les Cathares des Eglises de Carcassonne et Toulouse, unissant leurs hiérarchies, offrent alors aux catholiques un duel solennel à Montréal. Pons Jourda et Guilhabert de Castres, de l’Eglise de Toulouse, Arnaud Hot et Benoît de Termes, de l’Eglise de Carcassonne, du côté cathare, affrontent Diègue et Dominique et les légats Pierre de Castelnau et Raoul, sous le contrôle de quatre arbitres, deux chevaliers et deux bourgeois acceptés par les deux parties. Après plusieurs jours de discussion et l’échange de thèses contradictoires par écrit, on se sépare sans concession et sans résultat. L’Eglise cathare a probablement connu là le plus grand succès de son histoire en obtenant de l’Eglise officielle une discussion publique sur un pied d’égalité, et en mettant à son tour en accusation un adversaire aussi important qu’un légat pontifical.
            Mais le temps des discussions touche à sa fin. Citeaux vient de faire élire un de ses abbés évêque de Toulouse, et son abbé général Arnaud Amaury, issu de Poblet, en Catalogne, légat. La menace n’est guère perçue par les Cathares qui, à la suite de leur concile de Mirepoix, se bornent à fortifier quelques châteaux, dont celui de Montségur.
            Quant à Dominique, tandis que son évêque regagne la Castille, et les deux légats la France, plus déçus que jamais, il parcourt le Languedoc en prêchant sans relâche, réussit des conversions, dont celle d’un de ses hôtes, en une nuit, et finalement, en 1207, décide avec hardiesse de se fixer à Prouille, au pied de la colline de Fanjeaux, village réputé citadelle cathare ;  il y fonde une communauté de femmes cathares repenties ; des frères s’installent simultanément dans le bourg perché. Dans l’esprit évangélique insufflé par Dominique, la coexistence va être pacifique avec les Cathares, eux-mêmes non-violents. Les débats s’y poursuivront avec l’épisode célèbre des écrits des deux camps soumis à l’épreuve du feu, auquel résistent seuls ceux de Dominique au point de brûler une poutre contre laquelle ils avaient été projetés ! C’est également à Fanjeaux que Dominique aura sa vision d’un globe de feu descendant sur Prouille. Le nom de ce champion de la persuasion sans violence, qui n’est autre que le futur St Dominique, sent cependant un peu le soufre puisqu’on sait que c’est l’Ordre qu’il fondera qui sera chargé de l’Inquisition.
            Le drame qui couve depuis si longtemps va bientôt éclater dans le sang.
La première croisade
            C’est à St Gilles que se produit l’incident qui met le feu aux poudres. A l’extrémité orientale du Comté de Toulouse, St Gilles, avec son abbaye bénédictine rattachée à Cluny et son pèlerinage, le quatrième de la Chrétienté après Rome, Jérusalem et St Jacques de  Compostelle, est un bastion de l’orthodoxie, en conflit avec le Comte accusé de protéger « l’hérésie et les Juifs ». C’est là que le Comte Raymond VI est arrivé le 11 janvier 1208 pour entendre, de la bouche du légat Pierre de Castelnau, les conditions du pape Innocent III, qui vient de l’excommunier et de jeter l’interdit sur ses terres. Le légat l’invective violemment dans son propre château : « A partir d’aujourd’hui, vous êtes l’ennemi de Dieu et des hommes ; vous n’êtes plus Raymond de Toulouse, vous êtes Raymond l’hérétique, Raymond le Cathare ; vos sujets sont relevés de tout serment de fidélité envers vous ; qui vous dépossèdera aura raison de le faire ; qui vous tuera sera béni ! ». Exaspéré par tant d’arrogance, Raymond VI, le pacifique, se laisse aller à son tour à des menaces de mort. C’est le casus belli ; l’autre légat, Arnaud Amaury, part aussitôt pour Rome attiser la colère du pape. Et voici qu’au matin du 15 janvier, Pierre de Castelnau, qui s’apprête à franchir le Rhône à Trinquetaille, le faubourg d’Arles, pour regagner à son tour Rome, est transpercé par la lance d’un cavalier surgi d’un fourré. Il est facile d’accuser le Comte de cet assassinat.
            Raymond VI salue le cortège funèbre du légat à l’entrée de l’église où son excommunication lui interdit de pénétrer, tandis que le deuil ostentatoire de la ville parait proclamer l’innocence des Languedociens. Dès le lendemain, le Comte reprend la route de Toulouse. Il fait halte à Carcassonne, où son neveu et vassal Raymond-Roger Trencavel l’accueille chaleureusement, se réjouit en toute inconscience du meurtre dont il le croit responsable et qui selon lui doit servir sa gloire, et se montre impatient d’en découdre, comme si la guerre qui s’annonce devait être une distrayante partie de chasse !
            Passant ensuite par Fanjeaux, Raymond VI cherche à y rencontrer Dominique de Guzman pour solliciter sa médiation ; mais celui-ci est absent, en tournée on ne sait où.                     
Innocent III appelle à la croisade. Le légat Arnaud Amaury entreprend de lever une armée parmi les seigneurs du nord de la France: « Levez-vous, soldats du Christ, Princes très chrétiens ! Ceignez votre épée, empêchez la ruine de l’Eglise dans ces régions, réduisez par la force ces hérétiques bien plus dangereux que les Sarrasins ! ». Aux participants sont accordées la rémission des péchés et surtout la confiscation des terres conquises. Le pape recommande même ouvertement au roi Philippe II Auguste de rattacher sans tarder le Comté de Toulouse à son domaine et de prendre la tête de la croisade. Prudent, celui-ci décline l’offre mais, hypocrite, laisse ses vassaux s’engager. C’est donc sous la seule bannière pontificale, pour voler au secours de la Religion Catholique Romaine réputée menacée, qu’au printemps 1209 se rue vers le sud et se rassemble à Lyon ( sur quoi les historiens de cette ville restent muets), une immense troupe de soldats, mercenaires, bandits de grand chemin, femmes, enfants, marchands et prostituées, évaluée à 300.000 personnes, pour à peine 500 chevaliers. C’est un petit seigneur d’Ile-de-France, Simon de Montfort ( de Montfort l’Amaury ) qui en prend le commandement et va, selon l’expression d’historiens occitans, « fondre sur le midi à la tête de 300.000 barbares du nord ». Le financement est assuré par des collectes dans les diocèses.
             Le 18 juin, Raymond VI est de retour à St Gilles pour faire amende honorable et être relevé de l’excommunication. Il doit se présenter au pied des marches de l’église, devant une foule impressionnante, nu jusqu’à la ceinture, se fustigeant lui-même de verges pour n’avoir pas à le subir d’un autre comme un malfaiteur ; on lui passe la corde au cou ; il doit lire à genoux son acte d’accusation ; puis, dans la crypte, on le saisit par les cheveux pour le faire s’incliner devant le tombeau de Pierre de Castelnau. Ulcérés par cette humiliation de leur souverain, les habitants basculent massivement dans le camp cathare.
            Bien qu’il explique avoir agi par décision réfléchie, bien des sujets du Comte pensent qu’il a perdu l’esprit. Il est désormais tenu par l’engagement que scelle sa pénitence publique, et même contraint, avec une escorte que le légat Arnaud Amaury juge bien trop faible, de se joindre aux Croisés, parmi lesquels il découvre bien des Grands du Royaume : le Duc de Bourgogne    Eudes III, le Comte de Nevers Hervé de Donzy, Guichard IV de Beaujeu … etc… Sa présence va tout au plus limiter les pillages des territoires traversés. Toute la menace pèse désormais sur Raymond-Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne-Béziers-Albi, dont le domaine est, selon l’expression consacrée, « exposé en proie ». Celui-ci se rend à Montpellier pour parlementer avec les Croisés, mais rien ne peut plus les arrêter. Il regagne en hâte Béziers pour réunir les bourgeois et les exhorter à se battre, puis rallie Carcassonne en emmenant des Cathares et des Juifs pour les y mettre à l’abri.
            Partis de Montpellier le 20 juillet 1209, les Croisés mettent le siège dès le lendemain devant Béziers, qui refuse de livrer les hérétiques. Sous une chaleur torride, les Biterrois font une sortie pour puiser de l’eau dans l’Orb et défient les ribauds de la croisade qui s’y baignent et s’y désaltèrent. Sous la direction d’un colosse, ancien du sac de Constantinople, qu’ils ont élu « roi » à Lyon, ceux-ci se ruent dans la ville avant que les habitants aient eu le temps d’en refermer la porte, et toute l’armée les suit. Pendant deux jours, la ville est livrée au pillage et à l’incendie, à commencer par les églises, avec les personnes qui s’y sont réfugiées ( l’église Ste Madeleine en porte encore les traces ). Les 10.000 habitants sont massacrés. Etaient-ils tous cathares ? On prête au légat Arnaud-Amaury la phrase devenue célèbre : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». S’il ne l’a pas prononcée, tout s’est passé comme si !
            Si les méridionaux insouciants avaient cru encore assister en spectateurs narquois, comme en 1145 ou en 1178, à une parade de prédicateurs obligeant simplement les Cathares à se tenir cachés, ils étaient brutalement détrompés, et Raymond VI, atterré, convaincu de l’inutilité de sa pénitence.
            Les ruines de Béziers fument encore, et Narbonne s’est rendu sans résistance, livrant ses Cathares et ses Juifs, quand les Croisés sont devant Carcassonne, le 1er août 1209. Le siège va durer deux semaines. L’arrivée de Pierre II d’Aragon, accueillie par une clameur de joie sur les remparts, apporte un espoir vite déçu. Il explique à Raymond VI qu’ayant juré fidélité au pape, il ne peut combattre les Croisés, dont les forces sont au demeurant supérieures aux siennes. Tandis que le manque d’eau réduit la place à merci, il convainc  Raymond-Roger Trencavel de se rendre pour sauver ses sujets, espérant avoir obtenu pour lui la vie sauve. Mais à son arrivée au camp des Croisés, le 15 août, le jeune Vicomte est capturé et jeté dans un cachot de son propre château, où il mourra moins de deux mois plus tard, soi-disant de dysenterie, à l’âge de 24 ans ! La population est épargnée mais les Croisés s’installent. Le légat Arnaud-Amaury offre à celui des seigneurs croisés qui le souhaitera de prendre possession de la Vicomté ; les plus grands d’entre eux, dont le duc de Bourgogne Eudes III, se défilent, prenant conscience qu’ils sont embarqués dans une aventure douteuse et se rappelant que le roi Philippe II Auguste est hostile à toute dépossession; mais Simon de Montfort saute sur l’aubaine, avec une approbation unanime.
            Agé  de 50 ans, l’usurpateur garde la tête froide. Il n’est pas dupe de la flagornerie des chroniqueurs qui le surnommeront « le lion de la croisade ». Pierre II d’Aragon refuse de le reconnaître comme son vassal à la place de Trencavel. Et tandis que les autres chefs de la croisade, à l’exception de quelques misérables hobereaux d’Ile-de-France, s’apprêtent pour la plupart à plier bagage, au terme d’une quarantaine suffisante pour leur valoir des indulgences, le laissant très seul à la tête de son nouveau domaine, il est conscient de la difficulté qu’il aura à assurer son autorité sur un aussi vaste territoire.
            Pendant huit ans, il va s’employer à le « nettoyer » méthodiquement. De nombreux seigneurs viennent au-devant de Montfort reconnaître sa suzeraineté ; ceux qui refusent de s’incliner s’enferment dans les forteresses de montagne ou sont réduits à l’exil ; ils sont déclarés « faidits », c’est-à-dire dépossédés de leurs terres, que Montfort distribue à ses compagnons. De nombreuses villles sont prises facilement ou font leur soumission, parfois en livrant leurs « parfaits » ; ainsi Limoux, Fanjeaux, Laurac, Saissac, Castres. C’est à Castres que s’ouvre, dès cet été 1209, le martyrologe cathare, par la mort d’un « parfait », dont un cruel mais remarquable dessin conservé aux Archives Nationales, montre l’appareil du supplice ( pieu et courroies ) précédant le bûcher.
            Les expéditions se succèdent dans toutes les directions contre les places fortes où les Cathares se sont retranchés, en commençant par le nord. Mais devant l’imprenable forteresse de Cabaret ( à Lastours ), où sont réfugiés plusieurs centaines de Bonshommes sous la protection de chevaliers faidits commandés par Pierre-Roger de Cabaret, les Croisés connaissent leur premier échec ; la place ne se rendra qu’en 2011.
            Battant en retraite, ils se reportent au sud, vers la plaine, et prennent Mirepoix, donné à Guy de Lévis, Saverdun et Pamiers. Ils ont ainsi pénétré sur les terres de Raymond-Roger, Comte de Foix, dit « le Comte Roux », dont toute la famille est acquise à l’hérésie : sa sœur Esclarmonde est « parfaite », ainsi que son épouse Philippa, qui dirige une maison de Bonnes Dames à Dun. Son hostilité n’en devient que plus acharnée ; les Croisés ont blessé une bête féroce qui ne cessera de les harceler. Ils se gardent d’attaquer Foix, dont le château est inexpugnable, et qu’ils éviteront jusqu’en 1217. Repartant vers le nord, ils marchent sur Albi que leur livre son évêque Guillaume.
            En trois mois, Simon de Montfort a marqué son emprise sur tout son vaste territoire, mais son pouvoir est fragile. Les contrées se soumettent lorsqu’il parait et se révoltent dès qu’il tourne le dos. Il essuie quelques revers militaires. Guiraud de Pépieux, seigneur du Biterrois, dont un oncle a été tué par un chevalier français dans une rixe, s’empare du château de Puisserguier, tenu par les Croisés, emmène au château de Minerve les deux chevaliers qui le commandaient, et les renvoie après les avoir atrocement mutilés, leur crevant les yeux et leur coupant nez, oreilles et lèvre supérieure. La place forte d’Alaric, également tenue par les Croisés, est emportée et sa garnison massacrée. Depuis Cabaret sont montées des embuscades meurtrières. Les villes de Castres et Lombers, révoltées, font prisonniers les Croisés qui s’y trouvaient.
            A l’approche de Noël 1209, le pape confirme Simon de Montfort dans ses possessions et exhorte l’Empereur Othon IV, Alphonse VIII de Castille et Pierre II d’Aragon à lui adresser des troupes en renfort. Il donne à la croisade contre les Cathares la priorité sur la guerre contre les Sarrasins.
            Raymond VI est de nouveau sommé de livrer les hérétiques. Les Capitouls, consuls élus qui administrent Toulouse, apportent leur soutien à leur Comte, garant des libertés communales. Ils lui suggèrent, non sans humour, de répondre que tous les hérétiques ont déjà été brûlés. Le légat Arnaud Amaury répond en excommuniant à nouveau Raymond VI, et ses Capitouls avec  lui, et en jetant l’interdit sur Toulouse.
            Au début de 1210, Raymond VI rend visite à Philippe II Auguste et à Othon IV, qui le reçoivent avec bienveillance, puis se rend à Rome pour rencontrer le pape. Contre toute attente, la réception est dépourvue d’hostilité ; on échange des cadeaux ; le pape lève l’interdit sur Toulouse, où pourront sonner les cloches de Pâques, mais fait de nouveau appel au devoir de lutter contre l’hérésie, dans une obéissance filiale à l’Eglise. Il décide la réunion à St Gilles d’un concile où les légats auront le pouvoir d’absoudre le Comte, mais non de le condamner. Toulouse est en proie à une quasi-guerre civile : l’évêque Foulques a organisé une secte armée, la « Confrérie Blanche », qui s’en prend aux familles hérétiques et aux prêteurs juifs ; une « Confrérie Noire » se dresse contre elle. Revenu de Rome, Arnaud Amaury veut monnayer la levée de l’excommunication ; tractations sordides !
            Au printemps 1210, Montfort reprend ses expéditions avec une troupe grossie par l’appel du pape. Il enlève Bram, localité de la plaine mal protégée, et mutile une centaine de prisonniers de la même manière que Guiraud de Pépieux ; au centième il laisse un œil pour guider les autres jusqu’à Cabaret et montrer aux résistants ses intentions.
Il lui faut maintenant réduire une place forte. Il choisit Minerve, dressée sur une falaise abrupte au-dessus du confluent de la Cesse et du Briant, et l’écrase sous les projectiles depuis les hauteurs environnantes. Les défenseurs manquent bientôt de vivres et d’eau. Au bout de cinq semaines, Guillaume de Minerve capitule. Et en présence d’Arnaud Amaury, accouru, est allumé le premier bûcher collectif, où 180 « parfaits » et « parfaites », ces dernières « plus obstinées encore et complètement endurcies », se précipitent eux-mêmes plutôt que d’accepter la conversion.
En août 1210 se réunit le concile de St Gilles présidé par le légat. C’est un piège. On refuse d’y entendre le Comte en arguant qu’il n’a pas tenu sa promesse de chasser les hérétiques. Ainsi il ne pourra pas non plus être entendu par le pape. Ecoeuré, il regagne Toulouse où l’évêque Foulques continue d’attiser la haine et où ses compagnons d’armes, avec à leur tête Hugues d’Alfaro, son fils naturel, le poussent à l’intransigeance et à la guerre.
A l’automne 1210, se portant dans les Corbières, Montfort assiège la forteresse de Termes. Ses troupes vont s’y enliser quatre mois, jusqu’aux premières neiges. Finalement les défenseurs, épuisés là aussi par le manque d’eau, sont décimés au cours d’une sortie. La place tombe et Raymond de Termes va finir ses jours dans un cachot à Carcassonne. Puivert tombe peu après.
En janvier 1211, Pierre II d’Aragon, sous la pression du pape, absorbé par sa lutte contre les Musulmans, et espérant être l’artisan d’un compromis, accepte de reconnaître Simon de Montfort. En mars, il accompagne     Raymond VI à une convocation d’Arnaud Amaury à Montpellier, le persuadant qu’il reste malgré tout son allié. C’est pour recevoir un véritable ultimatum mettant en cause tous les droits du Comte de Toulouse et livrant ses terres à la merci des Croisés, auxquels le printemps va amener de nouveaux renforts. De nouvelles défections se produisent ; certains seigneurs, en échange de la vie sauve, rendent leur château et les « parfaits » qui s’y trouvaient ; ainsi aux Cassès.
Pierre de Cabaret rend sa forteresse, après avoir envoyé une centaine de croyants et Bonshommes se réfugier à Lavaur, où les accueille Guillaume Pierre. C’est devant cette ville que les Croisés mettent le siège. De nombreuses troupes convergent pour leur apporter du renfort, parmi lesquelles un détachement de la « Confrérie Blanche » de Toulouse ! Raymond VI, appuyé par le Comte de Foix Raymond-Roger et son fils Roger-Bernard, décide de voler au secours de la ville. Une embuscade anéantit une troupe de Croisés en marche, à Montgey. Mais rien n’empêche la prise de Lavaur, après deux mois de siège qui ont coûté la vie à 6000 Croisés allemands. On assiste alors à un double sacrifice humain : le premier religieux : 400 Cathares brûlés ; le second politique : tous les chevaliers faidits passés au fil de l’épée ; et l’horreur est complète lorsque la dame Guiraude, douce protectrice des Bonshommes, est jetée dans un puits et ensevelie sous les pierres.
En dehors des actions contre les places fortes et les villes, les supplices de Cathares isolés sont innombrables, à la faveur des passages de troupes ; ainsi celui d’une « belle hérétique » à Casseneuil, dans l’Agenais ; le texte qui le rapporte prend soin de préciser qu’il s’agit d’une dame de la noblesse, tant il est vrai que les Croisés s’acharnent particulièrement sur les  nobles, nombreux il est vrai à adhérer au Catharisme, et détenteurs de fiefs convoités, et aussi sur les femmes.
Juin 1211 : après la tuerie de Lavaur, les « barbares du nord » se ruent dans tout l’Albigeois, s’emparant de tout ce qui cède, abattant tout ce qui résiste, et pénétrant délibérément sur les terres propres du Comte, prennent position devant Toulouse, commandés par le Comte de Chalon et le Comte de Bar. En face d’eux, une grande concentration de guerriers toulousains sous la direction d’Hugues d’Alfaro, appuyés par l’armée du Comte de Foix. Ce sera le premier combat du Comte de Toulouse, revenu de son esprit de conciliation. Il participe à une sortie massive. L’issue de l’affrontement est incertaine ; les défenseurs rentrent dans la ville ; on échange les prisonniers. Un flottement se manifeste dans le camp des Croisés, où beaucoup de seigneurs désapprouvent l’attaque contre Toulouse et envisagent de rentrer chez eux, comme on l’a déjà souvent vu, après leur quarantaine de campagne. Les défenseurs multiplient les harcèlements. Et, après trois semaines, le 28 juin, l’armée de Simon de Montfort abandonne la partie. La joie éclate ; mais elle est mêlée d’angoisse ; chacun sait que les Croisés reviendront.
Pour épancher sa rage, Montfort ravage le Comté de Toulouse du sud au nord. Devant Castelnaudary, en septembre 1211,  les troupes de Raymond VI, du Comte de Foix, du Comte de Comminges, du Vicomte de Béarn et du sénéchal du Roi d’Angleterre en Guyenne, doivent à leur seule indiscipline de manquer de peu une victoire écrasante ; victoire que le Comte de Foix remportera seul à Montjoire, prenant même en otage le fils de Simon : Amaury de Montfort.
La guerre se poursuit tout l’hiver. Les massacres d’hérétiques, mais aussi de chevaliers, de part et d’autre, redoublent de cruauté. En décembre 1212, l’envahisseur réaffirme à Pamiers ses exigences sur une population dont il viole tous les droits ancestraux et qu’il surcharge d’impôts.
C’est alors que Raymond VI « renverse l’échiquier ». En janvier 1213, il abdique en faveur de son fils, Raymond le Jeune, qu’il fait couronner par   Pierre II d’Aragon, auréolé par sa récente victoire de Las Navas de Tolosa sur les Musulmans, et protégé par le pape. Le Saint Père ordonne l’arrêt de la croisade, reconnait dans tous ses droits le nouveau Comte Raymond VII, pur de toute accusation, mais sous réserve, bien sûr, qu’avec la grâce de Dieu, il ne tombera pas à son tour dans l’hérésie. A-t-il compris qu’avec la croisade il a engendré un monstre qu’il ne maîtrise plus ?
L’accalmie sera courte. Arnaud Amaury, devenu évêque de Narbonne, dénonce la manœuvre du vieux Comte et la persistance de la « peste hérétique ». Et le pape cède bientôt aux appels des prélats, réunis en concile à Lavaur…..et à l’argent de Montfort ! Il rappelle à l’ordre Pierre II, excommunie le Comte de Comminges et le Comte de Foix, jette de nouveau l’interdit sur Toulouse.
La reprise de la guerre est inévitable. Toulouse, unanime  derrière son Comte et ses capitouls, fait appel à  Pierre II d’Aragon ; celui-ci, dont l’honneur souffre encore d’avoir abandonné son vassal Trencavel, et qu’aiguillonne aussi sa passion pour une belle toulousaine, va cette fois s’engager corps et âme. Le 11 septembre 1213, l’armée d’Aragon, réunie à la cavalerie et aux milices urbaines languedociennes, investit Muret, tenu par les Croisés. Le nombre est en leur faveur. Mais le lendemain, lorsque trois corps de bataille effectuent une sortie et simulent la fuite, l’attaque des coalisés est trop précipitée et se laisse envelopper par un habile mouvement tournant. Le Roi d’Aragon, follement aventuré, est tué au premier choc. La cavalerie se débande et l’infanterie est balayée de la plaine « comme le vent fait de la poussière à la surface du sol ». Le vieux Comte se réfugie à Barcelone, le jeune à Londres ; Toulouse doit se rendre à l’ennemi ; il n’y aura pas de massacre mais la ville sera désarmée, déshabillée, saignée. 
Ouvert en novembre 1215, le troisième concile de Latran voit s’affronter pendant plusieurs mois d’une part les deux Comtes de Toulouse appuyés par le Comte de Foix, d’autre part Simon de Montfort soutenu par le légat Arnaud Amaury et l’évêque de Toulouse Foulques ; Innocent III vieillissant cède finalement tout à ces derniers, entérinant la dépossession des seigneurs du Midi. Que Raymond VII règne donc, s’il le peut, sur le pays conquis ! Désormais retiré à Gênes avec son père, il sait que seules les armes le lui permettront.

Simon de Montfort s’est établi à Toulouse, au Château Narbonnais            ( disparu aujourd’hui, à l’emplacement de la Place du Salin ). C’est non loin de là que, la même année, Dominique de Guzman, le futur St Dominique, fonde l’ordre des «  Frères Prêcheurs », qu’on appellera aussi Dominicains, et Jacobins à la suite de leur installation à Paris, Rue St jacques, en 1217. A Toulouse, la communauté se déplace bientôt plus au nord, Rue St Rome, près de la Place du Capitole, puis au Jardin de Garrigues, où une première église, encore romane, est édifiée ; elle sera remplacée à la fin du siècle par l’église des Jacobins, joyau du gothique languedocien, qu’on admire encore aujourd’hui, avec son fameux « palmier ».

             Ces Dominicains seront chargés, à partir de 1231, de l’Inquisition qui, en Occitanie comme en Catalogne, n’use, à l’origine, que de recherche ( inquisitio ) et de persuasion, mais débordera par la suite l’esprit de son fondateur. L’ardeur de Dominique était celle de l’amour, non celle des bûchers.  Il mourra en 1221. Il n’a pas fréquenté Simon de Montfort et n’a jamais été présent dans un tribunal de l’Inquisition ou devant des bûchers, contrairement à ce que montre le tableau de Berruguete du musée du Prado. La chance manquée de Dominique aura été l’irruption de la guerre.
            Au terme de cette première vague de la croisade, presque toute l’Occitanie est conquise. Mais l’Eglise cathare se cache sur place ou se retranche dans les nids d’aigle pyrénéens où l’accueillent les seigneurs locaux encore épargnés, parfois émigre déjà vers l’Espagne ou la Lombardie.
            Dès cette époque Montségur héberge la hiérarchie toulousaine : Gaucelm et son fils majeur Guilhabert de Castres, ainsi que « parfaits » et « parfaites » de la noblesse. Les Cathares les plus menacés, les plus « repérés », préfèrent prendre le maquis, assurés de l’appui de la population, voire de certains religieux indigènes.
 

La reconquête

            Dès le mois de mars 1216, un coup de théâtre inaugure la reconquête occitane. Les deux Comtes débarquent à Marseille, sous les acclamations. Il faut rappeler que la Provence est alors possession catalane, donc aragonaise, sous la suzeraineté de l’Empire. Le même accueil les attend en Avignon, cité libre dont la suzeraineté est partagée entre Aragon et Comté de Toulouse. Tous les seigneurs du Marquisat de Provence ( actuel département de Vaucluse ) et du Valentinois ( actuel département de la Drôme ), possessions toulousaines, les rejoignent. Une sève de liberté monte dans le pays provençal. Sur l’autre rive du Rhône, la ville de Beaucaire s’est soulevée, enfermant dans la citadelle la garnison fidèle à Simon de Montfort. C’est la ville natale de Raymond le Jeune qui fait serment d’y trouver la gloire. Tandis que son père gagne Barcelone pour lever de nouvelles troupes et marcher sur Toulouse, il y fait son entrée. Une armée commandée par Simon de Montfort et son frère Guy arrive en hâte au secours de la garnison encerclée. Il s’ensuit une bataille sanglante. Sous le commandement de leur jeune Comte, les Languedociens, se gardant des charges aventureuses, se montrent inébranlables. Avec de lourdes pertes, les Croisés sont contraints au repli. La nouvelle de la déroute de Montfort se répand comme une traînée de poudre. Le pape Innocent III ne la connaitra pas : il vient de s’éteindre, épuisé par le concile et la maladie.
            Revenu à Toulouse, Simon de Montfort exige l’allégeance renouvelée de la ville, où gronde la révolte, prend des otages et, malgré les conseils de modération de son entourage, se laisse aller aux représailles. D’autre part, avec une avidité qui n’a plus de bornes, il va confisquer la Bigorre à Pétronille, fille du Comte de Comminges, en l’obligeant à épouser son fils Guy, puis se porte , en évitant Beaucaire, dans le Valentinois, pour forcer la main du Comte Adhémar et l’obliger à marier son fils Guillaume avec sa fille Amicie de Montfort.
Mais pendant ce temps Aymeri de Castelnau prépare à Toulouse le retour de Raymond VII. Raymond VI, lui, a franchi les Pyrénées, avec le Comte de Foix, son fils Roger Bernard et le Comte Bernard de Comminges. En septembre 1217, déjouant les guetteurs à la faveur d’un brouillard providentiel sur la Garonne, il rentre dans Toulouse, dont la population se soulève massivement et jette les Croisés dehors. Les Toulousains et leurs alliés de Foix et de Comminges s’emploient à renforcer les défenses de la ville.
Il ne s’écoule pas dix jours avant que Simon de Montfort revienne en force y dresser le siège, parvenant à se réinstaller au Château Narbonnais. Pendant tout l’automne 1217, il multiplie en vain les attaques. Son fils Guy est grièvement blessé. Cherchant à investir le faubourg St Cyprien, en rive gauche, pour couper l’approvisionnement de la ville par le fleuve, ses guerriers sont précipités dans l’eau à coups d’aviron par les bateliers. Le siège s’enlise pendant tout l’hiver. En mai 1218, c’est une crue dévastatrice, emportant les ponts et inondant St Cyprien, qui seule permet aux assaillants de s’y implanter, après avoir fait le détour par le pont de Muret. Tandis que le plus gros de leurs forces s’y trouve, Raymond VII fait à son tour son entrée dans la ville sans difficulté, avec une armée de renfort.
Simon de Montfort a de plus en plus de peine à retenir à ses côtés les seigneurs français, qui renoncent les uns après les autres. Il prépare l’assaut final, avec de nombreuses machines de guerre, et le livre, après avoir entendu la messe dans la chapelle du Château Narbonnais, au matin du 25 juin 1218. Les assaillants avancent sous une pluie de pierres et de flèches. Guy de Montfort, le frère de Simon, qui les commande, est gravement touché. Et Simon lui-même, qui se porte à son secours, est tué net par un boulet de pierre, qu’on a dit lancé par une machine actionnée par une femme. Une ovation monte des remparts. La croix de Toulouse a vaincu le lion. Amaury de Montfort, autre fils de Simon, fait lever le siège et se replie à Carcassonne.
Les deux comtes vont reprendre possession de tout le pays. Ils remportent avec Raymond-Roger de Foix la victoire de Baziège et reprennent Castelnaudary dans l’hiver 1218-1219.
C’est ce moment, critique pour les Français, que choisit pour intervenir le prince Louis, fils de Philippe Auguste, futur Louis VIII, grisé par sa victoire sur les Anglais et par la prise de la Rochelle. Mal lui en prend. S’il oblige Marmande à capituler et en massacre les habitants, suivant ce qui est devenu une coutume, il échoue à son tour lamentablement devant Toulouse.
Les comtes reprennent successivement Lavaur et Puylaurens en 1220, Montréal en 1221, Mirepoix en 1222.
Lorsque le légat cistercien Conrad de Marburg convoque à Sens, en 1223, un concile pour préparer une nouvelle croisade, il ne rencontre guère d’écho. Mais en 1224  Amaury de Montfort, après une trêve et des pourparlers avec Raymond VII, dont le père vient de décéder, cède les droits acquis par son père Simon et évacue Carcassonne que réintègre Raymond II Trencavel, fils du défunt Raymond-Roger.
Les « parfaits » se réinstallent partout. L’église cathare se réorganise, incarnant plus que jamais la légitimité occitane. On reconsole à tour de bras. De nouveaux évêchés sont même créés, comme celui du Razès. Les nouvelles nominations se multiplient : ainsi en 1225 Bernard de Lamothe accède au rang de fils majeur de l’Eglise de Toulouse à Montesquieu-Lauragais, devant de nombreuses dames de la noblesse ; toujours l’importance de la femme en milieu occitan. Un véritable concile cathare se tient à Pieusse en 1226. De tous les chefs rescapés, c’est Guilhabert de Castres qui représente le mieux l’âme de cette résurgence. 17 ans après le massacre de Béziers, on est revenu au point de départ.
La seconde croisade et le dénouement
            Cette renaissance sera de courte durée. Louis VIII, qui vient de succéder à son père Philippe II Auguste ( en 1223 ), n’a pas ses scrupules. Poussé par sa femme Blanche de Castille, en rapport étroit avec le cardinal de St Ange, l’un des personnages les plus influents de la diplomatie du Saint Siège, prend lui-même la tête d’une seconde croisade, devançant le pape Honorius III, plus mou que son prédécesseur. Ce sera, ouvertement cette fois, une guerre de conquête, le motif politique dépassant le prétexte religieux.      
Le Roi et ses Croisés arrivent à Lyon au printemps 1226. Ils investissent ensuite Avignon, acquise au Catharisme, la ravagent et détruisent le pont derrière eux.
             Toutes les places du Bas Languedoc tombent de nouveau. Même le Comte de Foix, invaincu, se rallie. Le traité de Meaux de 1226 décrète l’annexion de fait du Comté de Toulouse.
             Cependant Raymond VII continue seul la lutte, contre Humbert V de Beaujeu que Louis VIII, malade, vient de nommer avant de mourir sénéchal de Carcassonne, et qui vient de renouveler à la prise de Labécède les atrocités familières à Simon de Montfort.
            De son côté, le Comte est parvenu à élargir sa zone libérée en reprenant Auterive en 1227, St Paul-Cap de Joux en 1228 et Castelsarrasin la même année.
            Mais finalement Blanche de Castille, au nom du nouveau Roi Louis IX son fils, négocie sa soumission et, le jeudi saint 12 avril 1229, il se présente en pénitent sur le parvis de Notre-Dame de Paris, y reçoit  l’absolution moyennant le serment d’observer les clauses, dictées de nouveau à Pamiers, du traité de Meaux de 1226, qui devient le traité de Paris de 1229. Il ne conserve à titre d’usufruit que le Haut Languedoc. Sa fille unique Jeanne, encore enfant, est donnée en mariage à Alphonse de Poitiers, frère du roi Louis IX, lui-même encore mineur. Il est prévu qu’à la succession de ces princes, sauf enfants à naître de cette union, le domaine comtal reviendra à la couronne. Raymond VII s’engage en outre à démanteler les remparts de Toulouse et à entretenir pendant dix ans « quatre maîtres en théologie, deux en droit canon, six maîtres ès-arts et deux régents de grammaire », formule qui constitue l’acte de naissance de l’université toulousaine. Roger-Bernard II, nouveau Comte de Foix, se reconnait aussi vassal du Roi.
            C’est cette même année 1229 que le cardinal de St Ange, sur ordre du pape Grégoire IX, qui a succédé en 1227 à Honorius III, et comme on y a déjà fait allusion, institue l’Inquisition, la confie à l’Ordre des Dominicains, et la consacre par un concile à Toulouse. Elle entrera en action en 1231.
             Raymond VII s’étant engagé à faire disparaître l’hérésie de ses terres et à « exterminer », au sens étymologique du mot, les « parfaits », il ne reste plus à ceux-ci qu’à retrouver le chemin de la clandestinité, du maquis, et des places fortes du sud : Montségur et les forteresses réputées imprenables de la Vicomté de Fenouillèdes et des Corbières : Puilaurens, Fenouillet, Peyrepertuse, Quéribus, Aguilar, Termes.
            C’est à Montségur que se réunit en 1232 un concile cathare et que Raymond de Péreille offre à toute la hiérarchie une hospitalité qui va durer douze ans.
            L’Inquisition, sous les directives du pape Grégoire IX, qui adresse en 1233 aux prélats méridionaux sa bulle « Ille humani generis », fait régner désormais la « paix de ( celui qui sera canonisé sous le nom de ) Saint Louis », c’est-à-dire la terreur.
            Ses méthodes, on l’a dit, débordent rapidement les principes fixés au départ : recherche ( inquisitio ) et persuasion, conformes à l’esprit de Dominique, qui est mort depuis 1221. Bien que moins arbitraire qu’en France ou en Allemagne, et s’appuyant sur des enquêtes scrupuleuses, elle est implacable. La torture largement pratiquée n’épargne que ceux qui abjurent sans difficulté. Les Cathares sont livrés au bras séculier. Les peines légères, telles qu’aumônes ou pèlerinage, ne s’appliquent qu’à la minorité de ceux qui abjurent et livrent leurs frères. Tous ceux considérés comme délinquants graves sont condamnés à la prison, au « mur », souvent à perpétuité. Tous les « parfaits » fidèles à leur engagement et toutes les personnes convaincues de contacts avec les Cathares retranchés, sont vouées au bûcher. On procède à l’exhumation des « consolés » pour brûler leurs corps. Les Croisés écument la campagne, vivant sur les habitants, qui avaient espéré l’apaisement après la soumission de leur souverain, et reviennent vite de leurs illusions. Les cabanes isolées  sont détruites, les grottes et les souterrains murés. Seules les grandes villes connaissent une certaine rémission.
            Que la torture et la peine de mort aient été choses admises au Moyen-Age, et que l’Inquisition soit peut-être devenue « un instrument trop soumis du pouvoir temporel autant que de l’Eglise » n’excuse pas les horreurs qu’attestent de trop nombreux documents et qu’on ne peut honnêtement minimiser : il est difficile de retenir sa révolte à la lecture de l’article publié dans « Le Rotarien » de mars 1997, sous la signature d’Henri Laplane, qui présente la création de l’Inquisition comme un « acte de charité » ; s’il est diplômé de droit canonique, sa lecture de l’histoire a dû être un peu hâtive !
            Parmi bien d’autres, la scène probablement la plus odieuse est celle qui a eu lieu le 4 août 1234, le jour de la canonisation de St Dominique. Après avoir célébré la première messe de son saint patron, l’évêque de Toulouse Raymond de Fauga apprend qu’une vieille femme mourante vient d’être consolée non loin de là ; il s’y rend, surprend la cérémonie et la fait porter sur son lit au bûcher ; après quoi tous les assistants font honneur à un joyeux repas en rendant grâces à Dieu et à St Dominique…..qui a dû se retourner dans sa tombe !
             Face à tant d’atrocités, la colère gronde et des troubles éclatent dans diverses villes. A Albi, en 1234, l’Inquisiteur manque de peu d’être jeté dans le Tarn. A Toulouse, en 1235, les habitants, unis derrière leurs capitouls, chassent les Inquisiteurs, puis les Dominicains, puis l’évêque, qui court  se plaindre au pape et ne reviendra que l’année suivante! En 1236 à Narbonne, le bourg se soulève à plusieurs reprises et pille le couvent des Dominicains.
            Enfin, en 1240, Raymond II Trencavel, le fils du défunt Raymond-Roger, appuyé par les Catalans, réunit une armée de « faidits » et assiège Carcassonne. Raymond VII de Toulouse, dont beaucoup de vassaux se sont pourtant joints à l’équipée, se tient à l’écart, plus préoccupé par sa rivalité avec la dynastie de Barcelone que par cette guerre « contre le Roi et l’Eglise ». Le siège est près de réussir ( et ce sera la seule fois dans toute l’histoire de la Cité de Carcassonne ), mais les insurgés doivent faire retraite devant l’armée de secours de Jean de Belmont, chambellan de Louis IX. Ils se retranchent dans Montréal, que le baron français Alain de Roucy leur a livré sans coup férir. Le sénéchal Guillaume des Ormes leur impose un siège rigoureux, mais finalement, à cause de la présence proche et peut-être équivoque des comtes de Toulouse et de Foix, laisse la garnison sortir avec ses armes. L’alerte a été chaude ; au plus fort de son courage, l’évêque de Toulouse s’en vient se réfugier à Carcassonne.
            La poursuite des insurgés s’organise en remontant la vallée de l’Aude. Les Croisés parviennent à en enfermer quelques-uns dans la « Roche de Buc » et leur font une cruelle justice. Parmi eux est pendu Guiraud de Pépieux, un vieil adversaire de Simon de Montfort, naguère illustré lui aussi par ses exactions.
            Le siège est mis devant Peyrepertuse, sur son rocher à pic, peut-être la plus forte place de la Chrétienté ; il se termine le 16 novembre 1240 par la négociation : Guilhem de Peyrepertuse livre la place moyennant compensation et oubli du passé.
            Bien qu’ayant renouvelé son serment d’allégeance à Montargis en 1241, Raymond VII de Toulouse, après cette défaite de Trencavel, fort de l’appui de Jacques 1er d’Aragon, de l’alliance du Roi d’Angleterre et de l’abaissement de la papauté par l’Empereur Frédéric II, se décide en 1242 à déclarer la guerre au Roi de France. Le signal de sa campagne est donné par l’attentat d’Avignonet    ( en Lauragais ) où, dans la nuit du 28 au 29 mai 1242, son neveu naturel Raymond d’Alfaro ( fils d’Hugues d’Alfaro ) livre le château aux faidits descendus de Montségur qui y massacrent une dizaine d’Inquisiteurs, dont Guillaume Arnaud, dominicain, et Etienne de St Thibéry, franciscain, et détruisent les registres de l’Inquisition. La cruelle satisfaction  de la vengeance éclate chez les agresseurs : Pierre Roger de Mirepoix, le chef de la troupe, reproche à un de ses hommes de ne pas lui avoir apporté le crâne de Guillaume Arnaud pour qu’il boive dedans ; et un croyant, en apprenant la nouvelle de l’attentat, s’exclame : « la cocula carta es trencada » ( « la foutue charte est déchirée », celle du traité de Meaux ).
            La mobilisation de tous les chevaliers, cathares ou non, et de tous ceux qui avaient à craindre des représailles, jouant leur va-tout, fait suite à ce coup d’éclat, mais apparait assez désordonnée. Elle entraîne de nombreuses arrestations, de nombreuses exactions de part et d’autre, mais s’enlise. Et il est mis fin à une relative tolérance qui avait paru un temps s’instaurer.
            Et du côté du Roi et du Clergé, on décide d’en finir. Selon la phrase de Blanche de Castille, ordre est donné que « la tête du dragon soit tranchée ».  Tout est en place pour le dernier acte. La tête du dragon, c’est Montségur. Son siège, sous le commandement du sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis, va durer de mai 1243 au 1er mars 1244. Après la capitulation, il se termine le 16 mars 1244 par la mort sur le bûcher de 205 cathares. Quelques rescapés, qui ont pu fuir, ont emporté un trésor aussi mystérieux qu’introuvable ; il s’agissait peut-être d’argent, ou essentiellement de documents. La chute de Montségur est le symbole de la défaite du Catharisme.
            Restent les bastions de Fenouillèdes, où se replie ce qui reste de l’Eglise cathare. Mais le siège de Quéribus en 1255, comme celui des autres places, s’achève par la négociation et n’est suivi d’aucun bûcher ; on ne sait pas exactement quels ont pu être les arrangements conclus.
            En 1258, le traité de Corbeil consacre l’annexion du Perapertusès et du Fenouillèdes aux dépens de l’Aragon.
             Le Catharisme agonise. C’est l’époque des défections ou de l’exil, de l’émigration vers la Lombardie. C’est aussi celle des tractations, des rançons pour acheter la liberté, que favorise l’attitude moins radicale de l’Inquisition, passée des Dominicains aux évêques, et restée relativement adoucie après son retour aux Dominicains en 1253. C’est l’époque des trahisons, à l’origine de guet-apens et d’attentats.
            Illustrant ces turpitudes, Raymond VII, ayant renouvelé sa soumission en 1243 à Lorris, vieillissant et malade, a fait brûler 80 cathares près d’Agen, en 1249, peu avant de mourir.
             C’est l’époque où Louis IX fait doubler et rehausser les fortifications de Carcassonne, et reconstruire en partie la cathédrale St Nazaire, par les architectes venus du Nord, pour en faire le symbole de la domination royale sur le Languedoc. Il fait renforcer les forteresses de la ligne frontière des Corbières face à l’Aragon, que le traité de Corbeil de 1258 a reportée un peu plus au sud par l’annexion du Perapertusès et du Fenouillèdes ; on appellera désormais Puilaurens, Peyrepertuse, Quéribus, Aguilar et Termes les « cinq fils de Carcassonne ». Ils ne perdront leur valeur stratégique qu’après l’annexion  du « Roussillon » ( la partie de la Catalogne au nord des Pyrénées ) par le traité des Pyrénées, en 1659.
            En 1271, tandis que Philippe III le Hardi a succédé depuis un an à Louis IX, l’exactitude du calcul diabolique fait par les négociateurs français en 1229 se vérifie lorsque la mort, à trois jours d’intervalle, d’Alphonse de Poitiers et de son épouse Jeanne, fille de Raymond VII, tous deux quinquagénaires mais sans héritier ( ! ), consacre l’annexion définitive du Languedoc à la France.
            A part l’expédition contre Montségur, le Comté de Foix a été laissé à l’écart par l’Inquisition. Beaucoup de Cathares s’y sont réfugiés, parfois après un retour d’exil. En 1272, on assiste à un essai d’émancipation du Comte, qui refuse la souveraineté du Roi. Philippe III le Hardi ose ce qu’aucun avant lui n’avait osé : il monte une expédition contre lui et attaque le rocher à pic sur lequel se dresse son château, qui capitule finalement faute d’approvisionnement. La citadelle de Roquefixade se rend à son tour, après une longue résistance, en cette même année 1272 ; elle aura été la dernière.
            L’hérésie est pratiquement anéantie, malgré quelques révoltes contre les excès de l’Inquisition, comme la fameuse « rage carcassonnaise »,  avec l’appel au pape Honorius IV des archidiacres Arnaud et Sans ( ou Sanche ) Morlane, en 1285.
            Même si le chiffre d’un million parait exagéré, le nombre de morts laissés par ce drame d’une durée de plus de cinquante ans s’élève certainement à plusieurs centaines de milliers, à une époque où tout le territoire de la France actuelle comptait tout au plus quinze millions d’habitants.
            Il y aura pourtant un sursaut, partant de St Félix-Lauragais, le lieu-même où avaient eu lieu les premiers fastes de l’Eglise cathare. Ce sursaut est personnalisé par Pierre Authié, notaire à Ax-les-Thermes, et son frère Guillaume, convertis tardifs, qui partent en 1296 pour la Lombardie, et en ramènent en 1299 de nombreux « parfaits » émigrés. Ils s’installent à Toulouse et, de là, parcourent le pays, ordonnent de nouveaux « parfaits », dont le fameux Bélibaste, consolé pour racheter un meurtre qu’il a commis, et qui sera le dernier « parfait » du Languedoc. Les évêques de l’Eglise cathare ressuscitée demandent la reconstruction de Montségur. Leur succès semble avoir été considérable en Toulousain et en Agenais.
            Mais l’Inquisition veille, dirigée par Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis, et va détruire méthodiquement cette Eglise, qui aura réussi à revivre pendant une dizaine d’années. Et le 9 avril 1310 Pierre Authié, après tous ses compagnons, entend sa sentence et monte sur le bûcher, affirmant que « si on lui permettait de parler et de prêcher à la foule, il la convertirait tout entière à sa foi ». Bernard Délicieux, à l’origine d’une révolte violente des Franciscains contre les Dominicains à Carcassonne en 1300 finira condamné au « mur » à vie.  Quant à Bélibaste, il ne sera pris et brûlé qu’en 1321, sur l’ordre de l’inquisiteur Jacques Fournier, le futur pape Benoît XII.
            De petits foyers de catharisme dispersés et clandestins semblent cependant avoir persisté jusque vers 1350, trouvant refuge dans des vallées reculées, notamment en Vicdessos et en Andorre. Quelques bûchers sont encore rapportés : en 1325 et 1329 à Carcassonne, en 1328 à Albi. Par contre l’épisode des Cathares murés dans la grotte de Lombrives en 1328 semble relever de la légende.
            Par la suite le catharisme disparait des chroniques.
Le Languedoc après les Cathares
            L’assimilation du Languedoc au Royaume de France après la tourmente sera surtout l’œuvre de Philippe IV le Bel, qui fonde en 1303 le Parlement de Toulouse, le plus ancien après celui de Paris, et plante face à Avignon la tête de pont de Villeneuve. Les villes se développent : Beaucaire avec sa foire, Montpellier acquis en 1349 du Roi d’Aragon. Le port d’Aigues Mortes, fondé par Louis IX, prospère.
            La vallée du Rhône n’étant pas totalement française jusqu’à l’annexion de la Provence en 1486 ( celle du Dauphiné datant de 1349 ), et la voie d’Aquitaine étant tenue par les Anglais, auxquels sont cédés l’Agenais et l’Armagnac par le traité d’Amiens de 1279, le Rouergue par le traité de Brétigny de 1280, en attendant que ces provinces soient rattachées à la Guyenne après leur retour à la France, c’est la Voie Regordane, devenue « Via Tolosana » Clermont-Ferrand-Nîmes-Toulouse qui devient le grand axe du domaine royal.
            La guerre de cent ans est peu ressentie. Elle est toutefois marquée par les incursions du Prince Noir ; s’il n’ose s’attaquer à la Cité de Carcassonne en 1355, il ravage la ville basse, bastide fondée par Louis IX en 1247. Le loyalisme du Languedoc est total, notamment envers Charles VII lorsqu’il n’était que le « Roi de Bourges », avec tout de même Lyon et Toulouse !
            Mais le souvenir du drame cathare s’est inscrit profondément dans le subconscient de la population, imprimant à son caractère quelque chose de farouche, qui contrastera durablement avec l’insouciance d’antan. Et, comme on l’a écrit : « C’est seulement la Renaissance qui, au 16ème siècle, renouera la guirlande fleurie tressée d’art et d’amour par le 13ème siècle ».
            Il est dit que l’histoire du Languedoc sera marquée par les drames religieux. Les guerres de religion vont le diviser. Tandis que Toulouse et Carcassonne restent fidèles au Catholicisme avant d’adhérer à la Ligue, les Cévennes se donnent à la Réforme. Après l’assassinat d’Henri III, la répression exercée par le Parlement de Toulouse contre les Huguenots a été considérée comme pire que celle de l’Inquisition au 13ème siècle.
            Après la trêve apportée par l’Edit de Nantes d’Henri IV, en 1598, les Protestants reprennent les armes sous Louis XIII. Montpellier, une des trois villes avec la Rochelle et Montauban appuyant la révolte du Duc de Rohan, est assiégé et pris en 1622. Le soulèvement reprend en 1627 et plusieurs villes résistent encore après la chute de la Rochelle en 1628. Privas est rasé par les troupes royales. Après la confirmation de l’Edit de Nantes par la paix d’Alès en 1629, ce sont les Protestants qui cependant font preuve de loyalisme lorsqu’en réaction contre les mesures centralisatrices de Richelieu, qui heurtent le Parlement, la noblesse et l’épiscopat, le Duc de Montmorency qui occupe la fonction de Gouverneur, s’engage en 1632 dans la conspiration de Gaston d’Orléans ; il sera décapité dans la cour du Capitole à Toulouse.
            La révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685 ouvre une nouvelle tragédie. Les persécutions, les tristement célèbres « dragonnades », encouragées par l’épiscopat et le Parlement de Toulouse, se déclenchent contre les Protestants cévenols. Ceux-ci résistent d’abord passivement puis, en 1702, prennent les armes, sous le commandement de Jean Cavalier, dont les « Enfants de Dieu » tiennent les troupes royales en échec. Dupé par le maréchal de Villars, commandant de l’armée royale, avec lequel il avait accepté de négocier à Nîmes le 15 mai 1704, Jean Cavalier sera accusé de trahison par les siens. La lutte reprend sous le commandement de Pierre Laporte, dit Rolland, qui est tué le 14 août 1704 au château de Castelnau, près d’Uzès. Comme au temps du Catharisme, la lutte s’épuise peu à peu et s’éteint vers 1710. Mais  Antoine Court organise l’« Eglise du désert » ; et les persécutions continueront jusqu’à l’avènement de Louis XVI.
            Sans faire des Protestants cévenols les héritiers des Cathares, qu’une abondante littérature venait de faire mieux connaître au 17ème siècle, y compris sous la plume de Bossuet, on ne peut manquer de faire un parallèle entre les deux mouvements religieux, identifiés l’un comme l’autre à l’individualité occitane dressée contre un pouvoir central maladroit et brutal.
            Le 18ème siècle voit enfin le retour d’une certaine paix et d’une expansion économique qu’a inaugurée en 1681 l’ouverture du Canal du Midi.
            La Révolution révèle le contraste entre le Toulousain passionnément « sans-culotte » et une résistance royaliste plus ou moins bruyante dans le reste de la province, émanant aussi bien des Protestants que des Catholiques.
            Le 19ème siècle, malgré les passions partisanes s’affrontant dans les luttes politiques, est marqué par une certaine renaissance de l’esprit d’indifférence et de jouissance d’avant la croisade.
            La dualité entre le Languedoc aquitain et le Languedoc méditerranéen s’affirme de nouveau à la période contemporaine, qui juxtapose les succès économiques, illustrés par les industries de pointe toulousaines, et les difficultés illustrées par les révoltes des viticulteurs des départements côtiers.
            La plaie mal fermée du vieux drame cathare se manifeste encore aujourd’hui tant dans l’agressivité mal contenue de certains ecclésiastiques que dans tel ou tel accès d’humeur des gens du pays. On est stupéfait de lire, dans un ouvrage sur l’Art Roman édité par les moines de « la Pierre qui vire », à propos du début du 13ème siècle : « C’est l’époque où les Cathares mirent le Languedoc à feu et à sang » ! On ne l’est pas moins en entendant un dirigeant de syndicat viticole s’exclamer au cours d’une manifestation : « Et s’il le faut, le Languedoc redeviendra cathare ».
            Dernière question qu’on ne manque pas de se poser : y a-t-il encore des Cathares ? Il est difficile d’y répondre. Il faut faire la part du sérieux et du folklore ; et, par respect pour les morts, il convient de rester sérieux. Ici ou là, en Languedoc, on vous parle à mots couverts de tel vieux « parfait » se terrant quelque part dans la campagne, loin d’un siècle indiscret. Un confrère, autrefois installé à Béziers, m’a dit en avoir rencontré un. Ce n’est pas mon cas jusqu’à présent. Et après tout, à la mémoire d’Esclarmonde et des Gaucelm, Pons et autres Guilhabert, pourquoi ne pas laisser délibérément au Catharisme son voile de mystère ?
 
 
 
TEXTES COMPLEMENTAIRES

LES CHATEAUX CATHARES

            Une mise au point est à faire à propos de ces fameux « châteaux cathares », qui cristallisent la publicité pour ce « pays cathare », vocable adopté par le département de l’Aude, alors que le Catharisme, on l’a vu, a existé dans presque toute l’Europe, et qu’en Languedoc même, il a largement débordé l’aire de ce département ; le plus symbolique de ces châteaux, Montségur, n’est-il pas situé dans celui de l’Ariège ?
            Ces châteaux, bâtis en des points stratégiques, souvent en pleine montagne sur des pitons rocheux escarpés les rendant à peu près imprenables, appartenaient à des seigneurs locaux. Si les Cathares, et spécialement les membres de la hiérarchie, y ont trouvé refuge, c’est que ces seigneurs étaient suffisamment sympathisants pour prendre le risque de les héberger et de les défendre le cas échéant par les armes. Et les « chevaliers cathares » qu’évoque l’émouvante chanson de Francis Cabrel, c’étaient ces seigneurs et non les Cathares eux-mêmes, adeptes de la non-violence. Tels étaient par exemple les auteurs de l’attentat d’Avignonet. Il faut savoir aussi que s’ils prenaient les armes, c’était autant pour défendre, ou reconquérir, leurs fiefs, que pour protéger les Cathares.
            Ces châteaux ont presque toujours fait l’objet de reconstructions, après l’époque du drame cathare, réalisées par les conquérants. Il en est ainsi particulièrement pour les châteaux frontaliers de l’Aragon-Catalogne, principalement ceux qu’on a appelés les « cinq fils de Carcassonne » : Termes, Aguilar, Quéribus, Peyrepertuse et Puilaurens  . L’état dans lequel on les découvre actuellement n’est donc pas ce qu’ont vu des yeux cathares. Néanmoins, ce sont bien les mêmes pierres qui ont resservi, en reprenant parfois les mêmes plans ; il en est ainsi à Montségur. Et si les pierres gardent le souvenir, le souvenir est intact, avec l’émotion qu’il inspire.
 

QUELQUES HAUTS-LIEUX CATHARES

Béziers
            Juchée sur une acropole de 70 mètres d’altitude, à une quinzaine de kilomètres de la mer, sur la rive gauche de l’Orb, face au confluent du Lirou, la ville de Béziers a une origine celtibérienne, puis a été une cité maîtresse des Volsques Tectosages. Son nom de Beterris est devenu Beterrae puis Biterrae en latin. A l’époque romaine, c’est un chef-lieu de cité : la Colonia Julia Septimana biterrensis, qui tire déjà son importance du commerce des vins et de ses échanges avec tout le pourtour méditerranéen. Elle est traversée par la voie domitienne.
            L’avènement du christianisme, au 3ème siècle, y nourrit la légende de son saint patron et martyr Saint Aphrodise. Il s’agissait, parait-il, d’un haut fonctionnaire égyptien. Il fut décapité et sa tête fut jetée dans un puits ; mais l’eau monta et lui permit  de la récupérer ; à l’instar de Saint Denis à Paris, il partit avec sa tête sous le bras, pour aller mourir dans une grotte, à l’écart de la ville, là où s’élève la basilique qui porte son nom. Neuf tailleurs de pierre, qui s’étaient moqués de lui sur son passage, furent pétrifiés. Une rue porte leur nom : Rue des Têtes. Lors des fêtes de la « Caritach » ( la Charité ), le jour de l’Ascension, la tradition s’est longtemps conservée de promener dans toute la ville le chameau de saint Aphrodise, en bois et toile peinte, pourvu d’une mâchoire articulée appelée « gnico-gnaco ». Des « sauvages » vêtus de feuillages, portant un pain en équilibre sur la tête, et des bergers simulant un combat incessant, l’accompagnaient. Détruit à la Révolution, disparu de nouveau en 1830, il réapparait aujourd’hui.
            Béziers va être le siège d’un évêché de 760 à 1790.
            Après les Wisigoths et la Septimanie sarrasine puis carolingienne, la ville est l’une des têtes de la vaste vicomté de Carcassonne, Béziers et Albi, aux mains de la dynastie des Trencavel, vassale du Comté de Toulouse. Béziers occupe une place éminente dans la civilisation des troubadours.
            Sa commune, dirigée par des consuls et avide d’émancipation, la fait entrer en conflit avec le vicomte Roger Trencavel, qui y est assassiné en 1167 ; la même année la commune est gratifiée d’une charte !
            En 1206, après le colloque qui les a opposés aux Cathares à Servian, Diègue et Dominique de Guzman se séparent des deux légats Pierre de Castelnau et Raoul, pour venir prêcher à Béziers, avant de gagner Carcassonne puis Verfeil.
            Le 21 juillet 1209, Béziers a le triste privilège d’être le premier jalon sanglant de la croisade du légat cistercien Arnaud Amaury et de Simon de Montfort, sous les yeux du comte de Toulouse Raymond VI, contraint d’accompagner celle-ci sans pouvoir en modérer le cours. Le siège, rendu inévitable par le refus des habitants de livrer les hérétiques, dure peu ; une sortie imprudente pour puiser de l’eau dans l’Orb laisse pénétrer une bande de ribauds sous la direction d’un colosse qu’ils avaient élu « roi », entraînant toute l’armée à sa suite. Les 10.000 habitants sont massacrés, la ville totalement pillée et incendiée. Faut-il rappeler la trop fameuse phrase prêtée au légat Arnaud Amaury, alors qu’on lui demandait comment distinguer les hérétiques des autres habitants : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » ? L’église de la Madeleine porte encore sous forme de traces d’incendie la marque de ce drame, que rappelle aussi une plaque proche de la cathédrale Saint Nazaire.
            En 1381, la conjuration de Bernard Pourquié se dresse contre la fiscalité royale. En 1632, Béziers soutient le Duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, qui participe à la conspiration de Gaston d’Orléans, et va être exécuté pour cette raison à Toulouse sur ordre de Richelieu.
C’est à Béziers que Molière donne, en 1656, la première représentation du « Dépit amoureux », peut-être bien sur cette place de l’Hôtel-de-Ville, à l’emplacement de l’ancien forum, où se produisait au 16ème siècle, lors des fêtes déjà évoquées de la « Caritach » ou des « Caritats », un théâtre occitan comique ou grivois.
            L’enfant le plus célèbre de Béziers est Pierre-Paul Riquet, baron de Bonrepos ( 1604-1680 ), le génial créateur du Canal du Midi. Sa statue y sera érigée en 1838. Le canal, après la descente de l’escalier d’écluses de Fonséranes, enjambe l’Orb par un superbe pont-canal datant de 1857, puis longe le sud de la ville.
            Le dernier épisode tragique de l’histoire de Béziers est la manifestation républicaine du 3 décembre 1851, qui voit l’armée tirer sur la foule ; le maire Casimir Péret est envoyé au bagne de Cayenne ; il mourra en mer en tentant de s’évader.
            Le chemin de fer arrive en 1857 et donne une nouvelle impulsion à la ville.
            Outre le baron Riquet, Béziers est la patrie :
n  du poète Paul Pellisson ( 1624-1693 ), son contemporain,
n  du physicien Jean-Jacques de Mairan ( 1678-1771 ),
n  du poète Jean-Pons-Guillaume Viennet ( 1777-1868 ),
n  et de Jean Moulin ( 1899-1943 )
Béziers compte aujourd’hui 72.000 habitants, 125.000 pour l’agglomération. On y conserve le goût de la fête : outre les joyeux défilés nés autour de la légende de Saint Aphrodise, sa « Feria » d’août  est célèbre. La renommée de ses courses de taureaux a fait qualifier Béziers de « Séville française ». Enfin on est là dans une des patries du rugby.
 
Carcassonne
            Voir « Petite histoire de Carcassonne »
 
 
Cabaret-Lastours
            L’Orbiel est un affluent de rive gauche de l’Aude qui descend de la Montagne Noire pour la rejoindre à Trèbes. Son nom évoque la présence d’or, comme celui de son frère des Corbières : l’Orbieu. Et de fait c’est dans le versant ouest de sa vallée encaissée qu’étaient creusées les mines d’or de Salsigne et Villanière. Dèjà les Romains et les Sarrasins avaient extrait là du fer, du cuivre, du plomb et de l’argent. L’or y a été découvert en 1892. 700.000 tonnes de minerai ont été extraites depuis 1924, donnant 72 tonnes d’or, 200 d’argent, 20.000 de cuivre et 320.000 d’arsenic. Ces mines ont périclité dans les trente dernières années et l’exploitation, malgré une modernisation et une  reprise à ciel ouvert, a finalement été abandonnée.
            C’est sur une butte schisteuse âpre et dénudée des gorges de l’Orbiel, dominant le village de Lastours et le confluent d’un ruisseau secondaire, que se dressent les ruines des fameuses « Tours de Cabaret », du latin « Caput arietis », la « tête du bélier », commandant un passage de la Montagne Noire au nord de Carcassonne, déjà emprunté par une voie romaine, et donnant leur nom au Cabardès, suite du Minervois vers l’ouest.
A la veille de la croisade, cette forteresse abritait l’une des cours méridionales les plus réputées pour leurs jeux d’amour et de galanterie. C’était le rendez-vous des troubadours les plus célèbres : Raymond de Miraval, dont le manoir aujourd’hui ruiné s’élevait un peu plus en amont ; Peire Vidal qui, déguisé en loup, se fit chasser par les chiens et les bergers dans la montagne, pour l’amour d’Auda, la femme d’un des seigneurs.
A l’heure des drames, il n’est pas de lieu où la mystique cathare et l’esprit de révolte aient soufflé aussi continument. En 1209, le château abrite de nombreux Parfaits et constitue, avec Aragon, une des positions de repli de l’évêché cathare de Carcassonne. Il est commandé par Pierre-Roger ( Peire-Rogier ) de Cabaret, l’un des plus habiles guerriers de l’époque. Enfermé avec Raymond-Roger Trencavel après la reddition de Carcassonne, il parvient à s’échapper, selon la légende en empruntant un souterrain reliant Carcassonne à son château ! Il prend la tête de la résistance.
Devant la forteresse imprenable, Simon de Montfort, accompagné du  duc de Bourgogne Eudes III, essuie son premier échec ; il doit se retirer avec de lourdes pertes. Du coup, le bourguignon découragé s’en retourne prendre le bateau à Beaucaire ! Par la suite, non seulement les Tours de Cabaret ne sont jamais prises de vive force, mais c’est Pierre-Roger qui monte de expéditions contre les croisés, faisant même des prisonniers. Tous les seigneurs dépossédés et tous les Parfaits de la région viennent se mettre sous sa protection.
            C’est seulement en 1211, lorsque tout le pays est tombé aux mains de l’usurpateur, que Pierre-Roger, se décide à traiter, après avoir envoyé une centaine de Bonshommes se mettre à l’abri à Lavaur, et non sans garanties, recevant en échange de ses châteaux des fiefs équivalents dans la plaine.
Bien que devenues forteresses royales, ces tours ne cesseront d’exercer sur les esprits une grande puissance d’attraction. On est surpris de voir, de 1269 à 1284, une foule où se pressent toute la noblesse du voisinage et même les curés voisins, assister aux réunions du Parfait Pagès, l’un des derniers ministres cathares du Languedoc. C’est un exemple de la protection occulte dont a bénéficié jusqu’aux environs de 1320 le culte cathare de la part des fonctionnaires royaux et du clergé catholique.
Des quatre châteaux, ou des quatre « Tours », aujourd’hui ruinés, qu’on découvre du belvédère qui surplombe le village de Lastours, trois seulement existaient à l’époque de la croisade, datant du 12ème siècle ; le quatrième est postérieur, de la fin du 13ème. Ce sont, de gauche à droite :
n  Cabaret, le château proprement dit, du 12ème siècle, dont le donjon a conservé à son étage supérieur une voûte d’ogives,
n  La Tour Régine, la plus récente, de la fin du 13ème siècle, donc postérieure à la croisade,
n  La Tour de Fleur d’Espine ou de Surdespine, aussi ancienne que Cabaret,
n  Quertinheux ou Quertinhaux, un peu plus récent que Cabaret et Fleur d’Espine
 
  
 
Minerve
            L’antique cité de Minerve occupe une position stratégique sur la rive gauche de la Cesse, affluent de rive gauche de l’Aude, sur un éperon qu’entoure un méandre de son propre affluent de rive gauche le Briant. Ces deux cours d’eau coulent au fond de canyons creusés dans un plateau caussique calcaire de la période éocène de l’ère tertiaire. Au début de l’ère quaternaire, délaissant deux anciens méandres, la Cesse a creusé deux tunnels naturels. Dans la grotte d’Aldène, au fond de ses gorges, on a découvert en 1948, conservées dans l’argile, des empreintes de pieds, de mains et de genoux attribuées à un homme du début du paléolithique supérieur, plus précisément de la période aurignacienne, vieilles donc d’environ 20.000 ans, parmi les plus anciennes empreintes préhistoriques trouvées en France ; leur relevé est visible dans un petit musée. Dans les environs, de nombreux dolmens confirment l’ancienneté du peuplement.
            La fondation de Minerve date des Romains. Dès cette époque, les vins produits dans la région sont vantés par Pline-le-Jeune et Cicéron. La Dixième légion romaine établit là un camp retranché. La vocation de citadelle, fortifiée de nouveau à partir du 11ème siècle, en fait un refuge tout trouvé pour les Cathares.
            En 1209, lorsque sont lancées depuis Cabaret quelques contre-offensives contre les croisés, c’est à Minerve que Guiraud de Pépieux, après s’être emparé du château de Puisserguier, amène les deux chevaliers qui le commandaient avant de les renvoyer, atrocement mutilés. Et c’est contre cette place que Simon de Montfort va s’acharner au printemps 1210, l’écrasant sous les projectiles au cours de cinq semaines de siège. Guillaume de Minerve doit capituler, la destruction du puits par une catapulte ayant privé d’eau les assiégés. En présence du légat Arnaud Amaury, accouru, est allumé le premier bûcher collectif du Languedoc, où périssent 180 « Bonshommes ».
            Minerve n’est plus aujourd’hui qu’un charmant village, point de départ d’excursions dans les gorges et les sites naturels voisins. Les pauvres restes des remparts et du donjon témoignent encore de la violence du siège et le souvenir des martyrs est toujours présent. La petite église romane Saint Etienne, des 11ème et 12ème siècles, conserve une table d’autel dont l’inscription rappelle une consécration plus ancienne, en 456, par l’archevêque de Narbonne Saint Rustique. Et surtout, devant l’église, une dalle de pierre est percée d’un orifice reproduisant la silhouette d’une colombe de terre cuite trouvée à Montségur, dont on a voulu faire le symbole du Catharisme … qui n’en a pas.
 
Termes
            Le château de Termes, qui existait dès 1110, a été l’un des plus importants des Corbières et a donné son nom au pays environnant, le Termenès.
            Il a été attaqué dès 1210 par Simon de Montfort, juste après Minerve. Après quatre mois d’une résistance farouche sous les bombardements incessants des pierrières, et l’échec d’une tentative de sortie, ses défenseurs ont été vaincus davantage encore par la dysenterie que par les assiégeants.
Raymond de Termes, le seigneur du lieu, qui n’était pas cathare lui-même, mais dont le frère Benoît de Termes était l’évêque cathare du Razès, fut enfermé dans un cachot à Carcassonne, où il mourut en 1211, comme Raymond-Roger Trencavel deux ans plus tôt.
Olivier de Termes, son fils, participe en 1239 à l’insurrection des faidits avec Raymond Trencavel, fils de Raymond-Roger, puis se rallie au roi Louis IX et, par cette trahison, entraîne la reddition du château de Quéribus en 1255.
Restauré dès le règne de Louis IX, et figurant au nombre des « Cinq fils de Carcassonne », le château a été démantelé en 1653 sous Louis XIII. Il n’en reste qu’un amas de ruines mais, dans les restes de la chapelle romane, une fenêtre en forme de croix fait rêver les amateurs de mystère. L’église de Termes est du 12ème siècle.
 
 
Montségur
            Le château de Montségur s’élève, à une altitude de 1218 mètres, au sommet d’un « pog », c’est-à-dire d’un pic, calcaire, qui est une dépendance du Plantaurel, face au massif du Tabé, ou de Saint Barthélemy, dont il commande la traversée par le col de la Peyre en direction de la Catalogne, face aussi à un horizon qui semble promettre tous les royaumes de la terre offerts par Satan à Jésus.
            Ce terme de « pog », qu’on retrouve dans d’autres pays de langue d’oc sous les formes de « puy », de « pech » ou de « puig », et qu’on fait dériver du latin « podium », a probablement une origine plus ancienne, préceltique, qui va bien avec un peuplement remontant à la préhistoire, dont témoignent les pointes de flèches néolithiques qu’on y a trouvées, à côté d’une monnaie romaine du 3ème siècle de notre ère. Un oppidum ibère a probablement précédé une forteresse wisigothe.
            Dès 1167, après le concile cathare de St Félix de Caraman ( aujourd’hui St Félix-Lauragais ), la forteresse de Montségur, bien que presque entièrement ruinée, est devenue le siège d’un évêché cathare.
            Vers 1200, elle appartient à Raymond de Péreille, vassal du Comte de Foix, « sauf la fidélité due au Comte de Toulouse », c’est-à-dire sous la suzeraineté de celui-ci. Dès 1204 à 1206, des chefs cathares, Raymond, diacre de Mirepoix, et son « socius » Raymond Blasco, flairant avant même la croisade le danger venant du nord, demandent à Raymond de Péreille, dont la mère Forneira tient maison de « parfaites » à Mirepoix, de restaurer et fortifier Montségur. Celui-ci hésite, par crainte des foudres de l’Eglise, mais finalement accepte, les fonds cathares permettant de financer les travaux comme l’entretien de la garnison.
            Les hautes murailles de ce véritable nid d’aigle s’élèvent donc au-dessus de versants abrupts. Les seuls accès portent les noms de « Pas del Roc » ou « Col du Tremblement », qui disent assez les difficultés de l’escalade. Une épaisse forêt ajoute à la protection.
            Le château n’occupe toutefois pas toute la plateforme sommitale. Il est entouré de postes avancés : à l’est, sur l’éperon rocheux qui termine le pog, à-pic au-dessus de la gorge du Carroulet, où coule le Lasset : une barbacane ; au nord-est : un poste de guet ; sur le versant sud : trois chicanes protégeant le seul chemin d’accès ; au nord-ouest enfin, sur une croupe prolongeant la montagne après un étranglement : un petit ouvrage fortifié protégeant un village de cabanes établi sur cette terrasse au pied des murailles.
            Montségur accueille bientôt toute la hiérarchie cathare toulousaine : l’évêque Gaucelm et son fils majeur Guilhabert de Castres ; de très nombreux « parfaits » et « parfaites » ; les « faidits » les plus compromis, comme Pierre-Roger de Mirepoix ou les seigneurs du Lauragais ; Esclarmonde de Foix et les dames de Fanjeaux. C’est véritablement le « phare du Catharisme », ou pour les Catholiques la « synagogue de Satan ». Les fidèles y affluent pour entendre les sermons des Bonshommes.
            Curieusement, aucune action n’est tentée par l’armée royale contre Montségur, même après le traité de Paris de 1229 et l’engagement de Raymond VII à l’ « extermination » des Cathares dans tout son domaine. Un concile cathare s’y tient en 1232, coïncidant avec un nouvel afflux de réfugiés. Il semble que Blanche de Castille ait cherché à ménager dans une certaine mesure les dignitaires cathares, pour des raisons obscures. Raymond VII, lui, joue un double jeu, protestant contre les agissements de l’Inquisition pour mieux s’en remettre au clergé local moins sévère, mais n’hésitant pas à faire venir de Montségur certains « parfaits » trop voyants, et à les livrer au bûcher !
            Raymond de Péreille accepte de renforcer encore les défenses, conscient de se mettre définitivement hors la loi, mais confiant dans la position imprenable du pog. Défiant le Languedoc conquis, Montségur est la tête de l’Eglise cathare, du « Dragon » pour les Catholiques.
            Guilhabert de Castres, chef des Bonshommes de Montségur, y meurt en 1240 ; il est remplacé par Bertrand d’En Marti. « Parfaits » et « parfaites » vivent dans le village de cabanes adossé au flanc nord du château. S’y ajoutent de simples croyants et tous les hommes d’armes chargés d’entretenir les défenses et d’escorter les dignitaires venant à Montségur ou en partant.    Ceux-ci habitent avec leurs familles dans des maisons de bois édifiées contre les murailles à l’intérieur de la forteresse, et ménageant seulement une cour de 100 m2 sur les 700 de sa surface totale. En tout une population d’environ 700 personnes. L’alimentation en eau est assurée par le recueil des eaux de pluie dans de nombreuses citernes. La subsistance est basée sur l’élevage, possible sur les pentes, une maigre agriculture fournissant blé et seigle, mais aussi la chasse et la pêche dans les torrents voisins. Il faut en effet du poisson pour les « parfaits ». Mais la découverte de nombreux ossements de bœufs, moutons, chevreuils, sangliers, attestant l’existence d’importantes réserves de viande, probablement salées ou fumées, prouve bien que ces « parfaits » ne représentaient qu’une minorité. L’habitat était certainement rudimentaire dans un espace aussi restreint ; seul le donjon, à l’extrémité ouest, comportait une cheminée murale.
            Cependant Raymond VII, toujours en position inconfortable après l’expédition manquée de Raymond II Trencavel contre Carcassonne, à laquelle il n’a pas participé, doit donner des gages au pouvoir royal et à la Papauté. En 1241, il accepte d’exécuter l’ordre qui lui est donné de mettre le siège devant Montségur. Mais ce sera un siège de pure forme, comme pour démontrer qu’il n’y a décidément rien à faire contre ce bastion irréductible.
            Tout change brutalement après le coup de force d’Avignonet, dirigé par Pierre-Roger de Mirepoix, cousin de Raymond de Péreille, qui est parti de Montségur avec sa troupe. Plus question de s’en remettre à Raymond VII qui, d’ailleurs, a repris lui-même les armes contre le Roi.
            C’est au sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis qu’est confié le commandement de l’armée de 10.000 hommes qui, en mai 1243, vient se mettre en place autour de la forteresse, prenant tout le temps d’aménager ses quartiers, étagés sur les flancs de la montagne, excepté le versant de l’est trop abrupt.
            Sur le pog, l’évêque cathare Bertrand d’En Marti est le maître incontesté, tandis que Pierre-Roger de Mirepoix commande les chevaliers et les hommes d’armes.
            Au bout de six mois, malgré l’inégalité des effectifs en présence et quelques engagements sans résultat, le siège est au point mort. Les assiégeants ne parviennent pas à bloquer l’acheminement des vivres, pas plus que les communications des assiégés avec l’extérieur, rendues possibles par la connaissance du terrain, peut-être aussi par des complicités monnayées.
Les assiégeants reçoivent des renforts de l’évêque d’Albi Pierre Durand et d’un groupe de stratèges experts en machines de guerre. Les assiégés reçoivent de leur côté une recrue de choix : Bertrand de la Beccalaria ( ou de la Vacalerie ), lui aussi expert en machines.
            Finalement les attaquants font appel à des mercenaires basques, familiers  du terrain montagneux. En novembre 1243, ils réussissent à prendre pied sur le versant sud et à mettre en batterie un trébuchet et d’autres pierrières, « chattes » et « chiennes » qui, bien qu’en contrebas, atteignent de leurs boulets la barbacane est. Celle-ci va être enlevée une nuit de la fin décembre par un groupe de volontaires armés à la légère, conduit par un guide, probablement un Cathare renégat, et ayant réussi l’ascension du pog. Le jour venu, ils frémiront en voyant le précipice qu’ils ont laissé sous leurs pieds. L’installation d’une énorme pierrière sur cette position, au niveau même de la forteresse, fait enfin tourner le combat à l’avantage des assaillants.
            Pierre-Roger de Mirepoix n’a plus d’illusion sur l’issue finale. Le dernier et fol espoir d’une aide de l’Empereur Frédéric II apparait bien utopique. Il convainc Bertrand d’En Marti de faire évacuer le trésor cathare, ce qui est réalisé par deux « parfaits », Mathieu et Bonnet, en achetant quelques sentinelles. Ce trésor est transporté, semble-t-il, dans une grotte de la haute vallée de l’Ariège, ou peut-être du Razès, puis au château d’Usson, en Donezan. On perd ensuite sa trace.
            Quelques émissaires sont partis aussi pour recruter une troupe de secours d’élite capable de prendre les Croisés à revers. Un catalan, plus ou moins bandit de grand chemin, accepte de diriger les opérations. Mais ses hommes s’égarent dans la nuit sombre au milieu de la gorge du Carroulet, et la tentative n’aboutit pas.
            Le 1er mars 1244, les assiégés tentent une sortie mais sont repoussés. Et si les échanges se poursuivent en dépit du blocus, c’est l’eau qui devient un  problème préoccupant : les citernes ont été polluées par les rats, ou peut-être par la main d’un traître ( comme on l’avait vu à Termes ).
            Les Cathares s’en remettent à Raymond de Péreille et à Pierre-Roger de Mirepoix, leur donnant tout pouvoir de négocier. Ceux-ci envoient donc un messager pour demander à quelles conditions ils pourraient rendre la place. Hugues des Arcis, Pierre Amiel, évêque de Narbonne, et Vincent Ferrier sont exaspérés par la durée du siège mais savent qu’ils ne l’enlèveront pas d’assaut. Ils font preuve d’une mansuétude apparente : tous ceux qui se rendront auront la vie sauve, ne seront pas inquiétés, même pour leur participation à l’attentat d’Avignonet, et sortiront avec armes et bagages… à condition toutefois de confesser leurs fautes, réserve évidemment lourde de menaces, car ils savent bien que les « parfaits » ne renieront pas leur foi. Un délai de quinze jours est fixé ; la reddition devra se faire le 16 mars.
            Le 13, un dimanche, une vingtaine de croyants demande encore le Consolamentum. La nuit précédant la reddition, Pierre-Roger de Mirepoix parvient encore à faire évader par des câbles quatre « parfaits » ; on ne sait ni  qui ils étaient ni la raison de leur choix ; on ne sait pas davantage ce que, cette fois, ils étaient chargés d’emporter : secret de l’emplacement du trésor, documents ?
            Le 16 mars au matin, les assiégés descendent du pog. 205 « parfaits » et « parfaites », dont les plus récemment consolés, avec parmi eux Esclarmonde de Péreille, fille du seigneur du lieu, sa mère et sa grand-mère, persistent dans leur foi. Le bûcher, une véritable montagne de fagots entourée d’une palissade, est immédiatement dressé et allumé, peut-être au lieu appelé aujourd’hui le « Prat dels cramats » ( le Pré des brûlés ), marqué par un monument commémoratif. Les Cathares s’y précipitent eux-mêmes en chantant. Des milliers de voix de l’assistance entonnent alors le « Veni Creator » pour couvrir les hurlements qui jaillissent !
            Les autres occupants sont évacués selon les clauses prévues. Les Inquisiteurs Vincent Ferrier et Pierre Durand ont commencé les interrogatoires avant même que s’embrase le bûcher.
            Gui II de Lévis, seigneur de Mirepoix par la grâce de la croisade, prend possession de la place au nom du Roi Louis IX, et y installe une garnison.
            Le château sera remanié au point que les ruines qu’on visite aujourd’hui n’ont plus grand-chose qui remonte à l’époque des Cathares. Mais son plan pentagonal, insolite pour un château-fort, a été conservé, ainsi que le donjon avec ses ouvertures ainsi disposées qu’au solstice d’été, le 21 juin, à                    5 heures 15 du matin, un rayon flamboyant du soleil se glisse par les archères de l’est et ressort par les ouvertures opposées.
            Tout se prêtait à ce que la légende prenne la pas sur l’histoire et s’empare de ce « grand sarcophage de pierre » selon le mot de Fernand Niel, temple plus que forteresse ou « forteresse pour les vainqueurs, temple pour les vaincus », comme l’écrit le poète carcassonnais Joë Bousquet, et pourquoi pas temple du soleil.
            La similitude des noms a voulu aussi qu’on identifie Montségur au mythique château de Montsalvage cachant le Saint Graal, vase surnaturel invisible aux yeux des hommes ordinaires, dont les Cathares auraient été les gardiens, et que seul un pur du nom de Perceval ( ou Parsifal ), nom qui rappelle Péreille, aurait découvert au terme d’une quête émaillée de terribles épreuves.
            On ne compte plus les sectes qui ont revendiqué Montségur, au point d’en faire un haut lieu de l’occultisme. Bien des pèlerinages s’y sont faits, bien des messes hétérodoxes et des cérémonies ésotériques s’y sont déroulées, et peut-être même y a-t-on pratiqué des envoûtements !
On raconte que pendant la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux officiers allemands ont fait l’ascension du pog pour tenter d’y retrouver l’esprit du Graal wagnérien, et qu’un jour un avion survolant la montagne a tracé dans le ciel une croix grecque.
            Il est bien vrai en tous cas, comme le dit André Breton dans un de ses poèmes, que « le bûcher brûle toujours ».
 
Quéribus
            Comme « un faucon solidement cramponné au poing fermé d’un rocher », selon l’expression de Gaston Mouly, ou « un dé posé sur un doigt », le château de Quéribus se dresse à 729 mètres d’altitude sur la crête la plus méridionale des Corbières, faite de calcaire blanc urgonien, au versant sud très escarpé, du côté du Fenouillet, c’est-à-dire de la vallée de l’Agly, au versant nord moins raide, du côté du Peyrepertusès, c’est-à-dire de la vallée du Verdouble, qui s’en va vers l’est doubler la chute de cette crête pour se jeter dans l’Agly.
            Comme à Montségur, le peuplement de la région est très ancien. Il y a des vestiges paléolithiques aussi bien au sud, à Tautavel, qu’au nord, dans les grottes du Grau de Padern. Un menhir, aujourd’hui disparu, se dressait à Cucugnan, dans la vallée du Verdouble, empruntée à l’époque romaine par une voie secondaire joignant la mer à la vallée de l’Aude, parsemée de villas dont on a trouvé les traces. Sous Charlemagne, le Peyrepertusès, englobant Quéribus, faisait partie d’un territoire donné par l’Empereur à son cousin Guilhem, en récompense de ses victoires sur les Sarrasins. En 865, lorsque Charles-le-Chauve divise en deux la Septimanie, la crête qui porte Quéribus est pour la première fois frontière entre la Gothie proprement dite au nord et la Marche d’Espagne au sud, cette dernière devenant en 874 l’apanage de Guifred ( ou Wilfrid )-le-Velu, comte de Barcelone, qui partage avec le seigneur de Carcassonne la suzeraineté sur le Razès, le Peyrepertusès et le Fenouillet. Par la suite Peyrepertusès et Fenouillet, et donc Quéribus, dont le nom est cité pour la première fois en 1020, appartiennent au Besalu, l’un des trois comtés qui se partagent l’actuel département des Pyrénées orientales, avec la Cerdagne et le Roussillon, comtés incorporés au Comté de Barcelone, respectivement en 1111, 1117 et 1172.
Après la première vague de la croisade, qui a vu la chute de Termes en 1210 et l’occupation de tout le pays situé plus au nord, Peyrepertusès et Fenouillet sont restés à l’écart, probablement à cause de leur appartenance au Comté de Barcelone, confondu avec le royaume d’Aragon depuis le mariage, en 1137, de Raymond-Bérenger IV avec Pétronille d’Aragon. Tous les petits seigneurs de la région sont au moins sympathisants cathares. Le chevalier Chabert de Barbaira, responsable de Quéribus, s’efforce de protéger et d’accueillir les Cathares réfugiés.
Dès 1230, Benoît de Termes, évêque cathare du Razès, s’installe à Quéribus. Il y mourra en 1241, un an après Guilhabert de Castres à Montségur. Avec lui arrivent de nombreux hauts personnages de l’hérésie, parmi lesquels un certain Bugaraig, dont le nom rappelle les Bulgares ou Bougres, et a probablement donné celui du village et du pic de Bugarach, point culminant de cette crête et de tout le massif des Corbières, à 1230 mètres.
En 1242, Chabert de Barbaira est investi du pouvoir militaire sur tous les châteaux de la région restés indépendants. Parmi ceux-ci, celui de Peyrepertuse, qui a donné son nom au Peyrepertusès, est tombé peu après l’échec de la tentative de Raymond Trencavel et d’Olivier de Termes, neveu de Benoît de Termes, contre Carcassonne, en 1240.
Après la chute de Montségur, en 1244, c’est Quéribus qui fait figure de « Seconde Synagogue de Satan ». Longtemps, comme pour Montségur, les sénéchaux de Carcassonne ne tentent rien contre Quéribus, pourtant théoriquement acheté par le Roi à son propriétaire, Nuno-Sanche, en 1239. Ils se contentent de s’emparer de châteaux moins bien défendus : Padern et Molhet en 1248, Puilaurens et Fenouillet en 1250.
C’est seulement en 1255 que Louis IX, qui veut assurer une ceinture défensive sûre à Carcassonne, charge le sénéchal Pierre d’Auteuil d’enlever Quéribus à tout prix. L’encerclement du château par une troupe de mille hommes commence en mai 1255. L’entreprise s’avère aussi insoluble qu’à Montségur : les défenses naturelles sont plus impressionnantes encore, sans la moindre plateforme où s’accrocher pour installer une pierrière ; le château est mieux fortifié que celui de Montségur, avec ses trois enceintes et son donjon massif surplombant la seule voie d’accès. L’archevêque de Narbonne, à qui Pierre d’Auteuil demande assistance, se fait prier et ne se décide à envoyer des secours que « parce que le château est le refuge des hérétiques et des larrons » et qu’ainsi cette affaire concerne l’Eglise. Il est suppléé par le sénéchal de Beaucaire.
Il apparait cependant qu’on ne pourra jamais venir à bout de la résistance de Chabert de Barbaira. D’autre part, le Roi d’Aragon menace de traverser le Languedoc pour aller à Montpellier, qui fait partie de son domaine et où ses sujets se sont révoltés. Pierre d’Auteuil, immobilisé devant Quéribus, court le risque de lui laisser le champ libre. En septembre 1255, il se décide donc à lever le siège.
Or, dès la fin de l’année, la forteresse est restituée officiellement au Roi de France. La raison n’en est pas connue avec certitude. On pense qu’Olivier de Termes, réconcilié avec Louis IX, parti avec lui à la croisade en Orient, et bénéficiant de ses faveurs, oubliant son oncle et son père Raymond, mort dans un cachot de Carcassonne en 1211, a attiré Chabert de Barbaira dans un guet-apens. Fait prisonnier, celui-ci aurait échangé sa vie et sa liberté contre la  reddition de Quéribus.
Quant aux Cathares, retranchés dans la forteresse, il semble qu’ils se soient dispersés dans la nature. Et c’est peut-être l’absence de bûcher qui explique que Quéribus, pourtant la dernière citadelle cathare, le « dernier boulevard de l’indépendance méridionale », parce que tombée sans gloire, ne jouit pas du même prestige que Montségur.
Elle n’en est pas moins auréolée, elle aussi, de légende. La fameuse salle voûtée de son donjon, avec son pilier central, évoque un temple, et la disposition de ses ouvertures correspondant à l’entrée du soleil à des dates déterminées du calendrier, un temple solaire.
Comme celui de Montségur, le château de Quéribus, pivot du système de défense sur la frontière des Corbières, malgré l’annexion à la France du Peyrepertusès et du Fenouillet par le traité de Corbeil de 1258, va être remanié par d’importants travaux en 1258,  1260 et 1321. Il sera le plus important des « Cinq fils de Carcassonne ».
Il sera aussi, une fois encore, un enjeu militaire. En 1463, Louis XI, appelé au secours par les Catalans révoltés contre le Roi d’Aragon, a occupé le Roussillon et la Cerdagne. En 1473, le Roi d’Aragon libère le Roussillon et prend Quéribus, que les Français reprennent en réoccupant le Roussillon en 1475. Le châtelain Pierre Peur, dit Malebête, est destitué. Ce ne sera qu’une parenthèse, le Roussillon étant rendu en 1493 par le traité de Barcelone aux « Rois Catholiques » Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, qui ont entre temps fait l’unité des deux royaumes.
C’est seulement en 1659 que le traité des Pyrénées donne définitivement le Roussillon ( et la Cerdagne ) à la France et enlève toute valeur stratégique à Quéribus. Le château sera occupé jusqu’en 1789 par la famille Castéras Sournia, puis deviendra la proie du vent et des souvenirs. Il a fait récemment l’objet d’une campagne de restauration sous l’égide d’une association de sauvegarde.
C’est par le col appelé Grau de Maury, à 555 m., qu’on atteint la crête. Autrefois appelé Grau de Quéribus, il est dominé à l’ouest par la Roque de la Poucatière à 770 m. et le Roc du Courbas à 939 m., précédant lui-même le sommet de la Quille qui culmine à 964 m. A l’est, une route permet de se rapprocher du château, en ne laissant qu’une centaine de mètres de dénivellation à gravir à pied.
 
Peyrepertuse
            Peyrepertuse, dont le nom, qui signifie « pierre percée », témoigne du caractère insolite d’une garrigue pleine de trous et de bosses, c’est le plus vaste des châteaux dits « cathares ». Il est proche de Quéribus, d’où il est très visible, la réciproque étant évidemment vraie.
            Ce n’est plus un  bâtiment avec une cour, comme à Montségur ou Quéribus, mais un véritable village, une « Carcassonne céleste », selon l’expression de Michel Roquebert. Le château n’est que le cœur d’un ensemble dont l’enceinte couronne toute la montagne et se fond dans la rocaille au point qu’on ne sait plus exactement ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas.
            L’histoire de Peyrepertuse est mal connue. L’origine remonte à 1050. La majeure partie de l’ouvrage date du 13ème siècle. Il n’est pas certain que des Cathares s’y soient jamais installés. On sait seulement qu’après le soulèvement des faidits en 1240, le château a succombé tout de suite, après un siège de quelques jours, à la poussée française, lorsque les troupes royales refluèrent par la vallée de l’Aude vers les Corbières. Il a probablement été rendu à Jean de Beaumont par la négociation. Comptant parmi les cinq « Fils de Carcassonne », il a été remanié et ses murailles renforcées aux 14ème et 16ème siècles. 
Le seul personnage illustre à y avoir séjourné est Henri de Trastamare, Grand d’Espagne et prétendant au trône de Castille, qui y trouva refuge en 1367, avant de réussir son entreprise et de devenir  Henri II le Magnifique. Mais le temps des Cathares était déjà loin.
Une garnison y a été entretenue jusqu’au 18ème siècle.
Ses éléments les plus remarquables sont le donjon de San Jordy et l’escalier de Saint Louis taillé dans le roc.
Si l’on peut l’approcher d’assez près en automobile, son accès depuis le lieu de stationnement des autocars exige une ascension de 240 mètres de dénivellation.
 
 
Puilaurens
            Couronnant une crête appelée jadis Mont Ardu, à 697 mètres d’altitude, dominant la vallée de la Boulzane, affluent de l’Agly, à sa sortie du plateau calcaire de Sault, premier bastion véritablement pyrénéen au contact des Corbières, vallée recelant des témoins de l’étage magdalénien du paléolithique supérieur, le château de Puilaurens, appartenant à une prévôté concédée à l’abbaye de Cuxa en 958 par une charte de Lothaire 1er, apparait dès cette époque. Mais ce qu’il en reste actuellement remonte seulement à la fin du 12ème siècle et au 13ème. Le premier châtelain connu est Pierre Catala, en 1217. En 1229, il est placé sous le commandement de Guillaume de Peyrepertuse. A partir de 1241 y séjourne Pierre Paraire, diacre cathare du Fenouillet, et plusieurs Parfaits y sont hébergés en 1245-1246.
            Il passe sous le contrôle royal vers 1250 dans des circonstances mal précisées. En 1255, le roi Louis IX donne au sénéchal de Carcassonne l’ordre de le renforcer ; en 1258 il est placé par le traité de Corbeil parmi les châteaux défendant la frontière de l’Aragon-Catalogne, et il est l’un des cinq « Fils de Carcassonne ». Des travaux y sont encore effectués en 1263 et 1270-1285, et au 14ème siècle. Il résistera à plusieurs attaques mais sera pris d’assaut par les Espagnols en 1636, et déclassé comme les autres châteaux frontaliers par le traité des Pyrénées en 1659.
            La plus remarquable de ses quatre tours rondes est la Tour de la Dame Blanche, ou de la Reine Blanche, qui rappelle le passage de Blanche de Bourdon, petite-nièce de Philippe IV le Bel. Son accès est facile à partir d’un lieu de stationnement commun aux voitures de tourisme et aux autocars.
 
Aguilar
            Avec Termes, Quéribus, Peyrepertuse et Puilaurens, le château d’Aguilar, ou de Viala, à Tuchan, est le cinquième des « Fils de Carcassonne », renforcés au 13ème siècle après la croisade pour la défense de la frontière des Corbières. Il n’a pas connu d’épisode marquant au moment du drame cathare. Par contre, un combat s’est livré, au pied de la butte sur laquelle il se perche, lors des guerres de religion. Tel qu’il se présente actuellement, l’édifice comporte une enceinte hexagonale flanquée de six tours rondes, et un donjon dit d’Olivier de Termes.
 
Puivert
            A l’époque de la première croisade contre les Cathares, le bassin de Puivert, dans la dépression appelée Pays de Kercobez, entre le versant nord du Plateau de Sault et les collines du Razès, était occupé par un lac dans lequel se mirait le château du 12ème siècle. Selon la légende apparaissait au bord de ce lac une Dame Blanche, annonçant par ses cris ou ses sifflements lugubres la mort prochaine d’un membre d’une famille noble de la région. Mais le château était aussi renommé pour ses « cours d’amour ».
            Il est pris d’assaut par les croisés en 1210. Simon de Montfort le donne à Lambert de Thury. Ce qui n’empêche pas le pays de Kercobez, sinon le château lui-même, de servir de refuge à de nombreux Cathares.
En 1279, le lac se vide subitement par la vallée du Blau, affluent de l’Hers Vif , et l’inondation dévaste les villes de Chalabre et de Mirepoix.
Au 14ème siècle, son propriétaire, un autre seigneur d’Ile-de-France : Thomas de Bruyères ( Bruyères-le-Châtel près d’Arpajon ), marié à Isabelle de Melun, construit le « château neuf ».
Aujourd’hui il ne reste du château du 12ème siècle que quelques pans de murs. Lui aussi en grande partie détruit, le château neuf conserve une tour-porte carrée avec le blason des Bruyères ( un lion, s’il vous plait ! ), et un donjon de 32 mètres de haut, comprenant quatre salles superposées, dont la grande salle dite de la croisade, avec huit personnages sculptés, la chapelle voûtée d’ogives avec « piscine », et la « Salle des Musiciens », la plus élevée, avec huit culs-de-lampes sculptés représentant des musiciens avec leurs divers instruments : le tambourin, la viole, la luthée, la harpe, le psaltérion, le rebec. Cette ornementation évoque l’éclat de la vie seigneuriale au temps des troubadours.
 
Roquefixade
            Sur les flancs du Plantaurel et sur le versant nord de la vallée de la Baure, affluent de rive droite de l’Ariège en amont de Foix, la forteresse de Roquefixade dresse encore ses ruines imposantes du 13ème siècle. Elle fut un refuge cathare, communiquant par des feux avec Montségur, qu’on distingue facilement sur son pog distant d’environ 12 Km. à vol d’oiseau. Jamais elle n’a été prise de vive force par les croisés et, dernière citadelle cathare à opposer une longue et  héroïque résistance, elle ne s’est finalement rendue qu’en 1272 à Philippe III le Hardi, après Foix. Encore restaurée au 16ème siècle, elle n’a été démantelée que par Richelieu.
 
 
             
 
 
 

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