Histoire de Carcassonne
Le site de Carcassonne est stratégique.
Le fleuve méditerranéen, l’Aude, vient des Pyrénées du sud au nord, et fait un coude vers la droite, vers l’est. Son affluent le Fresquel vient de l’ouest, du seuil de Naurouze, à l’altitude modeste de 189 mètres, qui conduit vers Toulouse et l’Océan. L’altitude de Carcassonne est de 100 mètres dans le lit de l’Aude.
L’histoire de Carcassonne est celle d’une forteresse sur un plateau de la rive droite de l’Aude, quarante mètres plus haut, lieu habité au moins depuis l’âge du bronze.
Les Ibères de cette époque ont un oppidum au sud de l’emplacement actuel de la « Cité », l’oppidum de Carsac. Au nouvel emplacement, après les Carthaginois, les Celtes érigent un nouvel oppidum, puis les Romains un « castellum » et une colonie, sur la voie d’Aquitaine joignant la Méditerranée à l’Océan.
Le nom de « Carcasso » apparait. Son origine n’est pas bien connue : peut-être hébraïque : « ville de grâce » ; ou mythique : nom d’un géant ; ou pré-indoeuropéenne, de « kar », la pierre, et « kasser », le chêne ; ou grecque : le carquois d’Enée ; ou carthaginoise : de Karkedon, le même nom que Carthage ; ou encore celte : de « caer », la ville, et « cassi », la frontière ( entre deux tribus, les Celtes Tectosages de l’intérieur et les Celtes Arécomiques du littoral ).
Au 5ème siècle s’installent les Wisigoths. Après la fin de l’Empire Romain d’occident en 476, leur royaume s’étend de la Loire à Gibraltar. Une première enceinte est édifiée à cette époque romaine et wisigothe. En 507 Clovis, après la bataille de Vouillé, chasse les Wisigoths au-delà des Pyrénées, à l’exception de la « Septimanie », c’est-à-dire du Languedoc côtier, et donc de Carcassonne que Clovis assiège sans succès.
Un évêché est fondé en 570 ; le premier évêque historique est Sergius, mais une légende veut que ce soit Saint Hilaire.
Les Musulmans, qui donnent à la ville le nom de « Karkashuna », succèdent aux Wisigoths en 725, jusqu’en 760, et un peu plus tard à Carcassonne. A cette époque c’est Pépin-le-Bref, père de Charlemagne, qui prend possession du pays.
Ainsi il est impossible que Carcassonne ait été assiégé par Charlemagne, comme le prétend une légende qui donne au nom de « Carcassonne » une étymologie fantaisiste. D’après cette légende la famine sévissait dans la forteresse assiégée. Sa suzeraine, Dame Carcas, donna à manger à la dernière truie le dernier sac de blé, puis jeta la bête du haut du rempart. Lorsque les assiégeants virent le grain s’échapper de ses flancs éventrés, ils crurent les réserves des assiégés encore abondantes et levèrent le siège. Alors Carcas fit sonner de la trompe ; était-ce de joie ou pour rappeler l’Empereur jeune et beau ? Un chevalier de l’arrière-garde rattrapa celui-ci et lui dit : « Carcas sonne ! ».
Au Moyen-Age, Carcassonne est un comté avec deux dynasties successives, puis une vicomté de la famille Trencavel ( « Tranche bien » en occitan ), avec Albi et Béziers. Ces vicomtes de Carcassonne sont vassaux du Roi d’Aragon-Catalogne, puis du Comte de Toulouse. Le pays est très riche, sa société évoluée et brillante. La culture des troubadours y fleurit et une grande tolérance y règne.
De l’époque de Roger 1er le Vieux, comte de la deuxième dynastie au 11ème siècle, à celle d’un autre Roger 1er, vicomte de la troisième, au 12ème siècle, l’enceinte est transformée et doublée d’une palissade en bois, et un « château comtal » construit au sein de l’enceinte.
Le Catharisme
Une nouvelle religion apparue en Europe se développe spécialement ici : le catharisme. En un temps de corruption de l’Eglise, elle se veut un retour aux sources du christianisme, auquel elle mêle le dualisme. Ses zélateurs, les « Bonshommes » et les « Bonnes Dames », mènent une vie ascétique et exemplaire, mais sont tenus pour hérétiques par l’Eglise officielle. Le comte de Toulouse Raymond VI est accusé de les protéger et doit faire amende honorable à Saint Gilles. Mais le meurtre du légat pontifical Pierre de Castelnau dans cette ville lui est attribué. Et en 1209 le pape Innocent III déclenche la croisade.
Une armée de 200.000 soldats et bandits de grand chemin fond sur le Languedoc, sous le commandement du légat cistercien Arnaud Amaury et du chevalier Simon de Montfort. A Béziers, toute la population est massacrée. Pour préserver la sienne, le vicomte de Carcassonne Raymond-Roger Trencavel se rend. Il est jeté dans un cachot de son propre château … où il meurt quelques semaines plus tard ! Simon de Montfort prend sa place et soumet la région. Les croisés s’approprient aussi les terres de ses vassaux. Les bûchers s’allument pour les Cathares.
En 1213 le comte de Toulouse Raymond VI et le roi d’Aragon Pierre II, qui est son beau-frère, sont vaincus par les croisés à la bataille de Muret.
En 1217 Raymond VI et son fils, le futur Raymond VII, parviennent à reconquérir leur territoire. En 1218, Simon de Montfort assiège Toulouse, où ils se sont réinstallés, mais il est tué par une pierre lancée par une machine qu’on a dite actionnée par une femme !
Mais le roi de France Louis VIII prend la tête d’une deuxième croisade qui renouvelle les exactions de la première. Et en 1229 le traité de Pamiers, confirmé par celui de Paris, consacre la domination française. La défense supposée de la religion a été le prétexte de la conquête du Languedoc. L’Inquisition est instituée, confiée aux Dominicains, ordre récemment créé par le castillan Dominique de Guzman : Saint Dominique, dont il faut savoir qu’il est mort longtemps avant cette création.
Des obstacles persistent cependant. Les dignitaires du Catharisme cherchent refuge dans des châteaux pyrénéens, nids d’aigles bien défendus. En 1240, les seigneurs locaux dépossédés, les « faidits », mettent le siège devant Carcassonne, tenu par les Français, mais échouent. Les habitants des quartiers entourant la forteresse, complices des assaillants, sont chassés et ces quartiers sont rasés.
En 1242 quatre Inquisiteurs sont assassinés dans le village d’Avignonet par un commando de chevaliers du pays. Cet attentat détermine le roi Louis IX et sa mère Blanche de Castille à en finir avec les Cathares, à « trancher la tête du dragon ». La tête du dragon, c’est Montségur, la redoutable forteresse juchée sur son « pog », à plus de 1200 mètres d’altitude, dont le seigneur a donné asile à toute la hiérarchie de la religion maudite. En 1244, son siège, qui dure dix mois, et se termine par la mort de 200 martyrs sur le bûcher, est le dernier épisode d’une tragédie de 35 ans, qui a laissé une marque indélébile.
Le roi Louis IX, Saint Louis, autorise en 1247 les anciens habitants de Carcassonne expulsés à construire une nouvelle ville sur la rive gauche de l’Aude. Ce sera la ville basse, le « bourg », la « bastide de Saint Louis » ( par opposition à la vieille « Cité » ). Elle adopte en effet ce modèle des bastides, villes aux rues étroites se coupant à angle droit, serrées à l’abri de leurs remparts dans un but défensif, qui se multiplient à partir de cette époque dans tout le grand sud-ouest de la France actuelle, aussi bien dans les territoires dépendant du Roi de France que dans ceux dépendant du Roi d’Angleterre. Sa première enceinte est achevée en 1262.
Les remparts de la Cité, endommagés lors du siège de 1240, sont quant à eux restaurés et même en grande partie reconstruits ; la seconde enceinte qui les double est également reconstruite en pierre.
L’annexion du Languedoc à la Couronne devient définitive en 1271 lorsque Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, devenu le dernier comte de Toulouse en épousant Jeanne, fille de Raymond VII, meurt ainsi que celle-ci au retour de la croisade qui a aussi vu la mort de Louis IX. Cette annexion était en effet prévue s’ils mouraient sans descendance, et tel a été le cas, si curieux que cela paraisse chez ces deux presque quinquagénaires !
Quelques foyers de catharisme se réveillent encore et des révoltes éclatent contre l’Inquisition : ainsi en 1285 ce qu’on a appelé la « rage carcassonnaise », et un peu plus tard l’action du franciscain Bernard Délicieux, qui finit sa vie en prison. Les peines de prison et quelques derniers bûchers, jusqu’en 1329, étouffent en effet ces manifestations.
A la fin du 13ème siècle et au début du 14ème, sous les rois Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel, de nouvelles reconstructions et restaurations des remparts de la Cité sont effectuées. La vénérable cathédrale romane Saint Nazaire, remontant à la fin du 11ème siècle et au début du 12ème, est elle aussi en partie reconstruite en style gothique « français ». Le « Pont Vieux » date aussi du début du 14ème siècle.
En 1355, au début de la guerre de cent ans, la ville basse est ravagée et incendiée par le « Prince Noir », fils du roi d’Angleterre Edouard III et régent d’Aquitaine pour son compte. Elle est reconstruite dans une enceinte plus petite mais mieux fortifiée, achevée en 1359, dont le tracé se retrouve actuellement dans l’hexagone des boulevards.
Une rivalité apparait entre la vieille forteresse, la « Cité », dont la population stagne et qui reste surtout militaire et religieuse, et le « bourg », la ville basse, industrieuse et bourgeoise, qui se développe rapidement grâce à l’industrie drapière, qui remonte au 12ème siècle mais y connait désormais un grand essor.
A partir du 14ème siècle l’histoire du Languedoc et donc de Carcassonne se confond avec l’histoire de France. Dans la dernière phase de la guerre de cent ans, le bourg est favorable aux « Bourguignons » contre les « Armagnacs », tandis que la Cité reste neutre. Mais par la suite le Languedoc, dans une grande unité et sans rancune pour le passé, se montre d’une fidélité sans faille à la Couronne, et en particulier est un des plus grands appuis de Charles VII, quand il n’est encore que le contesté « Roi de Bourges ».
Le bourg reçoit seulement en 1582 le titre de ( « bonne » ) ville.
Le protestantisme ( luthérien ) est apparu en 1531. Mais Carcassonne va rester un bastion du catholicisme. Cependant, lors des guerres de religion, en 1590, un affrontement armé oppose la Cité, qui prend parti pour les ultra-catholiques du duc de Joyeuse, et le bourg, catholique modéré et protecteur des protestants dans la ligne du duc de Montmorency. La paix est signée au milieu du pont.
Les 17ème et 18ème siècles voient l’apogée de l’industrie drapière, dont les manufactures se multiplient aussi bien à Carcassonne même que dans la région environnante, certaines recevant le titre de manufacture royale, comme celle de la Trivalle, au pied de la Cité, près du pont. Les riches marchands drapiers confient aux meilleurs architectes la construction de leurs hôtels particuliers, et aux meilleurs artistes la charge de les décorer.
Quant à la Cité, elle a perdu son importance stratégique depuis l’annexion de la Catalogne d’en-deçà des Pyrénées et le report de la frontière sur celles-ci par le traité de 1659 qui porte leur nom. Elle a été déclassée en tant que place militaire et en partie laissée à l’abandon. Elle va de plus en plus être habitée par une population pauvre qui palliera souvent la dégradation des maisons en prélevant les pierres de la forteresse délaissée.
Le « Canal Royal des Deux Mers », l’actuel Canal du Midi, creusé par le baron Pierre-Paul Riquet, et inauguré en 1681, passant dans la vallée voisine du Fresquel, est un facteur supplémentaire de développement économique pour la région.
Le 18ème siècle voit se réaliser d’importants travaux d’urbanisme. Ils concernent notamment l’approvisionnement de la ville en eau, avec l’aqueduc d’Henri Pitot, inauguré en 1754, alimentant de nombreuses fontaines, la plus remarquable sur la « Place aux Herbes » au centre de la bastide. L’effort porte aussi sur le réseau routier, sous l’impulsion de l’évêque Armand Bazin de Bezons ; c’est lui qui, en 1745, a transféré l’évêché de la Cité dans la ville basse.
Lors de la Révolution, Carcassonne devient le chef-lieu du département de l’Aude. La constitution civile du clergé est mal acceptée et une crise économique va jusqu’à la disette ; mais il y a peu d’évènements tragiques ; les seules exécutions capitales concernent les meneurs, dont une femme, d’une émeute de la faim ayant pillé des bateaux du canal, et … un prêtre réfractaire.
La déviation du canal dans la ville, avec une importante tranchée, commencée en 1787 sous la direction du comte Jean-Pierre Fabre de l’Aude, est achevée seulement en 1810, avec son port ; les ponts sur ce nouveau canal portent les noms des victoires de l’Empire !
A la même époque, les murs de la ville basse sont abattus, à l’exception de plusieurs bastions d’angles, et d’une des portes, la Porte des Jacobins, qui avait été reconstruite au 18ème siècle. Un cercle de boulevards remplace les fossés comblés
C’est en 1810 aussi que la vieille église de la Cité, Saint Nazaire, perd son rang de cathédrale au profit d’une des deux églises de la bastide, de style gothique languedocien : Saint Michel. Elle n’aura une compensation qu’en 1898, en étant érigée en basilique.
Au 19ème siècle, qui voit la population dépasser les 20.000 habitants, l’industrie drapière décline progressivement, tandis que l’activité se concentre davantage sur la vigne, avec des industries qui lui sont liées. Le Pont Neuf est construit en 1846. Le chemin de fer arrive en 1857.
Sous l’impulsion de l’écrivain Prosper Mérimée, premier inspecteur national des monuments historiques, et de l’érudit local Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, une restauration complète de la Cité, qui était proche de la ruine définitive, est menée à bien de 1852 à 1879, sous la direction du grand architecte Eugène Viollet-le-Duc.
La fin du 19ème siècle et le début du 20ème sont marqués par les crises touchant la vigne qui atteignent leur paroxysme en 1907, et une diversification de l’activité économique, avec des industries originales : tannerie et mégisserie, minoterie, distillerie, brasserie, recyclage des chiffons.
A la période contemporaine, Carcassonne compte 46.000 habitants. La vigne a retrouvé une place honorable dans les trois terroirs qui l’entourent : le Minervois, les Corbières et la Malepère. Mais c’est le tourisme qui s’est élevé au rang de première activité économique, avec une fréquentation ayant atteint trois millions de visiteurs par an. Depuis 1970 un aéroport assure des liaisons internationales, notamment avec la Grande-Bretagne. La fête la plus réputée est l’« embrasement » de la cité, feu d’artifice géant, le 14 juillet. Un festival se déroule l’été dans un théâtre de verdure, à l’intérieur de la Cité.
Parmi les personnalités célèbres de Carcassonne, on peut citer :
- Au 18ème siècle : le peintre Jacques Gamelin et le poète Philippe Fabre, dit Fabre d’Eglantine, auteur du calendrier révolutionnaire ;
- Au 19ème siècle : le compositeur Paul Lacombe et l’homme politique Théophile Marcou ;
- Au 20ème siècle : le chimiste Paul Sabatier, prix Nobel 1912, le philosophe Joseph Fortunat Strowski, le poète Joë Bousquet et l’écrivain René Nelli.